L’actualité française Pokémon n’a jamais été aussi riche que ces dernières années. Outre une sortie des titres vidéoludiques au rythme de deux versions par an, Kurokawa réalise un vieux rêve de fan en sortant progressivement différentes œuvres manga autour des monstres de poche. Le graal pour les adeptes, c’est évidemment « Pokémon Special », la fameuse déclinaison papier comptant plus d’une cinquantaine de tomes au Japon et qui adapte les différentes générations de jeu sur un système à la Jojo’s Bizarre Adventure où chaque arc narratif correspond à une salve de versions, permettant à chacun de prendre le train en route. Et pour donner sa chance à la série en France, après le fiasco de Glénat sur la partie rouge et bleu il y a plus de 10 ans, l’éditeur publie les différents arcs en tant que petites séries indépendantes. Rubis et Saphir est ainsi le troisième chapitre de la saga, et il nous paraît directement après la fin de la parution du premier tandis que le cycle XY ne tardera pas à pointer le bout de son nez. Alors, elle est pas belle la vie de pokéfan ?
Rubis a grandi à Johto, mais pour ses 11 ans, ses parents déménagent dans la région de Hoenn. Normal, père de Rubis, est un champion d’arène qui aimerait voir son rejeton suivre ses pas, mais ce dernier se passionne pour les concours Pokémon. Incompris, Rubis décide de fuguer et fait la rencontre de Saphir, la fille de l’expert Pokémon local qui, elle, veut conquérir les arènes de la région. Une rivalité s’installe en un clin d’œil et tous deux se fixent un objectif : En 80 jours, Rubis devra réussir l’ensemble des concours Pokémon tandis que Saphir devra collecter les 8 badges de Hoenn.
Changement de recette pour la saga Pokémon Special. Cette fois, le héros n’est pas le protagoniste imposé par le jeu et son rival qui l’est tout autant, et les têtes d’affiche sont au nombre de deux : Rubis et Saphir, les deux personnages (masculin ou féminin selon le choix) que le joueur pouvait incarner durant sa partie. Avec cette formule, le récit nous permet de suivre deux aventures bien distinctes et pendant que Saphir s’intéresse aux compétitions d’arène, Rubis nous permet de suivre davantage l’intrigue du jeu, à savoir la lutte contre la Team Magma et la Team Aqua. Le périple ne se fait donc jamais sans temps mort et le scénario alterne le voyage de l’un puis celui de l’autre, en les rejoignant à certains instants afin de développer la rivalité entre les deux héros. Contrairement à l’arc Rouge / Bleu / Jaune, ce n’est plus la simple aventure de Rouge, ou celle de Jaune, mais bien les voyages croisés de Rubis et Saphir qui sont aussi importants l’un que l’autre.
Encore une fois, on retrouve avec un véritable plaisir le voyage à travers Hoenn et le manga ne manque jamais de nous rappeler l’univers des versions Rubis et Saphir. L’ensemble des PNJ importants sont de la partie, notamment le vaillant Monsieur Marco et son Goelise, ainsi que toutes les particularités qui font l’intérêt de cette génération. Les talents, les pokéblocs, les baies, les concours Pokémon… Tous ces éléments sont bien présents dans le manga et ont souvent une dimension bien plus importante que l’on ne le croit. Ainsi, les talents ont un enjeu capital lors des combats puisqu’ils permettent d’élever la dose de stratégie dans les joutes. Jusqu’à présent, les auteurs parvenaient à instaurer des combats tactiques, et cette nouvelle particularité leur permet d’exposer au mieux leur inventivité.
L’épopée de Rubis et Saphir se fait de manière bien moins linéaire que dans le jeu puisque très rapidement, le cheminement d’une ville à une autre s’explique par un évènement scénaristique et ne résulte pas simplement d’un dresseur se rendant d’un point A à un point B pour se confronter à une arène. Cela donne, plus que dans le premier arc, un réel dynamisme à la série, ce qui nous permet de suivre les chapitres sans lassitude. Ce tome 1 représentant plus de deux volumes de l’édition japonaise, autant dire que nous ne le voyons pas passer.
L’univers des jeux est présent, le voyage est trépidant, les combats rondement menés… Mais quid de Rubis et Saphir, les deux héros ? Les auteurs ont choisi de nous surprendre et de nous prendre à contrepied pour ces protagonistes sortant des sentiers battus tandis que le manga cible un lectorat particulièrement jeunes. Ainsi, fini le cliché de la demoiselle adepte des concours de beauté et du mâle voulant se castagner dans les arènes. Rubis est un esthète qui s’assume tandis que Saphir est une demoiselle qui ne manque jamais d’illustrer son tempérament fort, quitte à se la jouer Tarzan en observant des Pokémon dans une grotte. Les rôles sont inversés, ce qui est surprenant, mais aussi rafraîchissant. Mais plus loin que cette simple idée, les deux héros sont passionnants pour les êtres qu’ils incarnent, en particulier Rubis. Le récit octroie à ce dernier et très rapidement un don refoulé pour le combat Pokémon, ce qui soulève une psychologie rude pour le personnage, car reliée à son contexte familial. L’une des dernières scènes du tome est particulièrement marquante, voire violente, on s’éloigne légèrement des personnages classiques bien que sympathique de Rouge / Bleu / Jaune.
Fait marquant, le dessinateur de l’actuel arc n’est plus le même que celui de la première partie. En effet, l’artiste Mato a laissé sa place à Satoshi Yamamoto durant l’arc Or / Argent / Cristal, inédit chez nous à l’heure actuelle. Yamamoto a su reprendre la pâte graphique de son prédécesseur, mais apporte un style un peu plus adulte, par exemple en évitant les design trop réduits des personnages au cours de l’action. En revanche, sur certaines créatures, l’auteur semble assez hésitant et on constate quelques imperfections… Peut-être le temps pour lui de s’adapter à cette salve de monstres ?
Kurokawa semble avoir adopté une politique particulière pour Pokémon. Tandis que les volets modernes bénéficieront d’un format relié standard, l’édition des anciens arcs se feront par le biais de tomes épais de plus de deux volumes, pour un total de trois opus par série dont les tranches forment une illustration pour cristalliser cet aspect de « tout » pour chaque récit et ne pas effrayer les potentiels lecteurs qui craindraient une série trop longue. Pour le reste, Kurokawa nous livre encore une très bonne copie en termes de traduction et adaptation, sa collaboration avec Nintendo et The Pokemon Company n’apporte que du bon. Pas d’hésitation sur le nom des attaques ou celui des talents, les notions du jeu sont restées intactes afin que personne ne soit perdu.