Considéré comme le père du JRPG, le scénariste et game designer a réalisé un tour de force au milieu des années 1980 : s'approprier les règles et mécaniques sophistiquées du genre pour les démocratiser à grande échelle. Voyage dans les traces du visionnaire à qui l’on doit Dragon Quest.
Faire mentir les érudits est l'apanage des audacieux. Un privilège réservé à ceux que l'on célèbre, des années plus tard, pour avoir repoussé les frontières de l'impossible, défié la logique et avoir eu le courage de croire que leur proposition avait, sans doute, quelque chose de précieux et d'intemporel. Yuji Horii est de ceux-là. Il est, comme Shigeru Miyamoto, Hideo Kojima, Tim Schafer ou John Carmack, un artisan qui a profondément transformé son médium et dont l'impact « sur l'art du développement de jeux et sur les jeux dans son ensemble » est indélébile, comme l'ont estimé les organisateurs de la Game Developers Conference qui l'ont récompensé pour l'ensemble de son œuvre en mars dernier. Mais avant de devenir tout cela, il a fallu braver l’interdit. « Les gens m'ont souvent dit qu'il serait impossible de transposer le principe de jeu de rôle sur une console de salon, confie le game designer et scénariste à USGamer. La console de salon auquel il fait référence s'appelle la NES (ou Famicom au Japon) et n'avait jusqu'ici, il est vrai, rarement accueilli un projet aussi ambitieux. Car au milieu des années 1980, le RPG est prisé par « les puristes, les passionnés, les initiés » explique-t-il au Monde, et ses mécaniques sophistiquées ne peuvent, pense-t-on, être fidèlement transcrites que sur un ordinateur personnel. En mai 1986, pourtant, Yuji Horii remet en cause les certitudes de ceux qui pensaient savoir en dévoilant le premier épisode de Dragon Quest. Un RPG qui reprend les bases du genre, se les réapproprie et tient dans une cartouche de 64 Ko.
Enix rising
Pour faire bouger les lignes, il faut être un rêveur et s'imaginer la fin de l'histoire avant qu'elle ne soit écrite. Celle de Yuji Horii a pris un tournant inattendu, lui qui se voyait plutôt embrasser une carrière de mangaka malgré un goût prononcé pour la logique et les mathématiques. Contribuant régulièrement au magazine Shōnen Jump, l'un des plus populaires au Japon, le natif de l'Île d'Awaji s'exerce à la programmation en autodidacte, fasciné par l'interactivité proposé par les jeux vidéo. « J'ai estimé qu’il serait intéressant de créer une histoire interactive, où tout ce qu'on fait entraîne réactions et récompenses »rappelle-t-il dans les colonnes d'Eurogamer. En 1982, il participe à un concours organisé par Enix, société d'abord spécialisée dans l'édition de magazines immobiliers mais qui a bifurqué, sous l'impulsion de son fondateur, vers l'industrie naissante du jeu vidéo. Il en est l'un des trois lauréats avec Love Match Tennis, dont le nom est suffisamment évocateur pour que l'on évite de s'attarder sur le principe. Il est édité par Enix en 1983 et suivi par The Portopia Serial Murder Case, un visual novel au gameplay non-linéaire.
Ultime sorcellerie
C'est en découvrant Ultima et Wizardry lors d'une conférence à San Francisco que sa carrière prend un nouveau tournant. Son ambition, dès lors ? S'approprier le genre dans sa construction, ses mécaniques ou son scénario, afin de le démocratiser à grande échelle. « J'aspirais à créer un monde chaleureux et accueillant, accessible et facile à comprendre » rembobine-t-il auprès de GameSpot. Il imagine l'une de ces fameuses « histoires dont vous êtes le héros », dotée d'une interface simpliste, d'objectifs atteignables et d'un protagoniste muet, immergé dans un monde coloré peuplé d'étranges créatures. Pour conceptualiser l'environnement graphique, il approche Akira Toriyama, père de Dragon Ball, qu’il rencontre grâce au rédacteur en chef de Shōnen Jump. La composition des musiques est confiée à Kōichi Sugiyama. Et après plusieurs mois de développement, le trio accouche en mai 1986 du premier épisode de l’une des séries les plus pérennes, populaires et imitées de l'histoire du jeu vidéo : Dragon Quest. Et surtout d'un genre à part entière, avec ses propres codes : le JRPG.
S'il est considéré, selon un producteur de Square Enix, comme « le dieu du jeu vidéo » au Japon, comparé à Steven Spielberg ou encensé par Shigeru Miyamoto, Yuji Horii reste un créateur relativement méconnu en Occident, où ses titres ont été exportés tardivement et n'ont, pendant longtemps, pas eu le succès qu'ils méritent. Mais l'héritage laissé par son œuvre est encore visible aujourd'hui, tant la majorité des grandes séries de jeux de rôle, qu'elles soient japonaises ou occidentales, s'en inspirent. Mais ça, Yuji Horii l'avait anticipé. « Les gens avaient l'habitude de dire que la fantasy occidentale ne serait jamais acceptée au Japon, raconte-t-il. Mais Dragon Quest s'est bien vendu et dernièrement, Harry Potter a connu un énorme succès au Japon. Les goûts sont devenus plus uniformes entre les pays ». Et pour cela, on peut sans doute, un peu, le remercier.
Dragon Quest Treasures est disponible sur Nintendo Switch depuis le 9 décembre 2022.
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