Effort, détermination, concentration… Telles sont les vertus nécessaires pour espérer aller au bout d’un jeu, qui ne manquera pas de mettre nos nerfs à rude épreuve pendant vingt, cinquante, peut-être même une centaine d’heures. Et parfois, il faut juste ne rien faire. Strictement rien.
L’un des exemples les plus connus, et peut-être l’un des plus aboutis, se nomme Far Cry 4, jeu vidéo de tir en vue à la première personne paru en 2014. Notre héros se trouve, dès les premières minutes, plongé dans l’enfer du Kyrat en Himalaya, ravagé par la guerre, gouverné par une milice menée d’une main de fer par le bad guy de cet épisode, Pagan Min. D’ailleurs, il est là, face à nous, dès la première scène, et nous expose sommairement les enjeux de notre venue, son projet de toute-puissance, bref, le schéma classique d’un tyran ambitieux. Puis, alors que nous sommes libres de nos mouvements, il quitte la pièce, et à nous dès lors de décider de la marche à suivre : fouiller la maison, nous échapper… Ou bien, tout simplement, rester les fesses vissées sur notre chaise, et attendre. Attendre encore et encore, pendant de longues, très longues minutes. Quinze, précisément, une éternité. Puis, Pagan Min revient, et nous escorte vers le chemin du retour. Fin.
Il est à noter que Far Cry 4 n’est pas, loin de là, le premier jeu vidéo à faire de l’inaction une donnée alternative dans l’avancement de l’histoire. Dans Metal Gear Solid 3, un boss particulièrement retors, The End, peut être battu en ne bougeant pas durant plusieurs jours. Prenant alors de l’âge en “temps réel”, il meurt tout simplement de vieillesse. Dans Braid, il faut attendre deux longues heures pour qu’un nuage permette de récupérer une étoile n’étant pas nécessaire à l’avancée du joueur (mais ça fait toujours plaisir). Dans Final Fantasy 5, le vilain Gogo réplique inlassablement les attaques de l’adversaire, vous. Ne rien faire permet donc de vous protéger, et cet acte pacifique de se voir lui aussi récompensé. Parfois cependant, ne pas jouer fait partie intégrante de la construction du récit, comme dans Fable 2, où il vous est permis d’y acheter des propriétés et de les louer, récoltant ainsi le paiement du loyer, somme non négligeable pour avancer dans l’aventure, et qui ne nécessite rien de plus de votre part.
Certes, en apparence, tout cela n’est jamais bien sérieux, ou grave. Il ne viendrait jamais à l’idée de qui que ce soit de déclarer fièrement avoir terminé Far Cry 4 en usant de cette supercherie. Pourtant, au-delà du twist rigolo ou de la blague de développeur, se cache une absurdité qui en dit long : ne pas jouer nous est impossible, quand bien même cela pourrait nous faciliter la vie et la partie. Comme un film devant lequel il faudrait fermer les yeux pour mieux comprendre, un jeu nous demandant de poser la manette va à l’encontre de toutes nos croyances, de notre apprentissage, et de la nature même de ce qu’est le jeu vidéo : une activité physique et mentale dont le but essentiel est le plaisir qu'elle procure.
Refuser le jeu, c’est se poser cette question : “et si ?”. Et s’il existait une autre voie, une autre façon de faire ? Procurerait-elle davantage de satisfaction, d’émotion ? De la frustration éventuellement ? Rester assis sur cette chaise, ne pas attaquer le big boss… Des gimmicks en apparence, mais qui en disent long sur nous, les joueurs et les joueuses.