Le 18 décembre, L’Ascension de Skywalker clôture la troisième trilogie de Star Wars. Une franchise culte dont son propre créateur, George Lucas, doutait de la pertinence au moment de la sortie du premier volet en 1977. Craignant, sans doute, que l’oeuvre ne soit pas en accord avec son temps, alors qu’elle a finalement révolutionné la manière dont on envisage le cinéma.
La scène se déroule en 1976, à quelques mois de la sortie de La Guerre des Étoiles (devenu Star Wars, épisode IV : Un Nouvel Espoir depuis, ndlr). En proie au doute, George Lucas fait un passage remarqué sur le tournage de Rencontres du troisième type, prochain film de Steven Spielberg, l’un de ses proches amis. Une manière, pour lui, de se convaincre qu’il a fait le bon choix en pariant sur un space opera à une époque où Hollywood n’est pas vraiment amateur de science-fiction. À l’époque, Spielberg est un réalisateur respecté et bankable du milieu, boosté par le succès du film Les Dents de la Mer, considéré comme l’un des premiers blockbusters de l’histoire du cinéma.
Un pari à 40 millions de dollars
Fasciné par son travail, George Lucas a l’intime conviction que Rencontres du troisième type va connaître un succès sans précédent. Bien plus que Star Wars, sa propre production. Lors d’une interview pour Turner Classic Movies, Spielberg se souvient de sa visite : « Il m’a dit : ton film va avoir tellement plus de succès que Star Wars. Ça va être le plus grand succès de tous les temps ! » rembobine-t-il. « Il m’a dit : on va faire un pari : je t’échange 2,5% des bénéfices de Star Wars contre 2,5% des bénéfices de Rencontres du troisième type. » Spielberg accepte le marché. La suite, on la connaît : Rencontres du troisième type est, comme prévu, un succès public et critique et génère plus de 304 millions de dollars au box-office. Un montant relativement insignifiant comparé aux 775 millions de dollars générés par Star Wars. Résultat des courses : Spielberg a chopé 40 millions dans l’opération. Un pari gagnant.
Le flop annoncé devenu culte
Ce qui, quatre décennies plus tard, semble être un deal insensé ne l’est pas tant que ça. Avant la sortie du film, George Lucas a des raisons de s’inquiéter. Bien aidé par le succès d’American Graffiti, sorti en 1973, le natif de Modesto réussit, tant bien que mal, à vendre son concept de space opera à 20th Century Fox. Une dizaine de millions de dollars sont investis dans le tournage, mais George Lucas n’est pas dupe : le studio ne fonde pas de grands espoirs dans son oeuvre. La preuve ? 20th Century Fox accepte de céder les droits des produits dérivés au réalisateur qui, en échange, lâche 500 000 dollars de sa poche pour des frais de tournage. Deuxième indice : le film n’est diffusé, au départ, que dans 32 salles aux États-Unis. Pas vraiment un carton annoncé, donc. Et pourtant.
Sur le tournage, on a conscience d’accoucher d’une oeuvre singulière, mais pas nécessairement révolutionnaire. Dennis Murren, qui a travaillé sur les effets visuels du film, se souvient : « Je ne pensais pas que [Star Wars] allait changer les choses, parce que je trouvais le film beaucoup moins réaliste que 2001 : L’Odyssée de L’Espace, qui était réalisé de la même manière, mais sans toute la flexibilité des caméras et de l’écran bleu, et le rendu était phénoménal » raconte-t-il sur le site officiel de la franchise. « Quand je regardais le travail effectué sur Star Wars, la plupart des plans me semblaient très grossiers. Les vaisseaux faisaient de drôles de manoeuvres. (…) Et le script aussi : vous avez des types qui se baladent dans les couloirs d’une sorte de planète spatiale, avec un gars déguisé en chien qui les accompagne et un robot qui ressemble à l’homme de fer-blanc dans Le Magicien d’Oz. On se disait « Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? » Mais selon lui, quelque chose de spécial s’est produit cette année-là : « [Le succès de Star Wars] n'était pas vraiment un accident, parce que George et Steven, en l’espace d’un an, ont fait Star Wars et Rencontres du troisième type. Toute une génération de personnes et de cinéastes était prête à voir ces films. »
Le succès du premier volet de Star Wars est tout sauf un accident, pour plusieurs raisons. La première, c’est parce que George Lucas est l’un des premiers à avoir démocratiser le concept d’univers étendu, en enchaînant les références à des éléments extérieurs à l’histoire pouvant être potentiellement exploités dans un (ou plusieurs) sequel(s). Parce qu’il a, aussi, créé un personnage principal auquel tout le monde peut s’identifier, en s’inspirant du travail du mythologue Joseph Campbell: Luke Skywalker.
Les nouvelles stars d’Hollywood
Star Wars se démarque surtout par ses innovations techniques, notamment par l’utilisation du Dykstraflex : un système de motion control inventé par John Dykstra, l’ex-assistant de Douglas Trumbull qui a conçu les effets spéciaux de 2001 : L’Odyssée de l’Espace. Le concept ? Placer une caméra sur un support motorisé et contrôlé par ordinateur, capable de faire des rotations ou des travellings autour de maquettes miniatures fixées sur un support immobile et placées devant un fond bleu. C’est ce dispositif, révolutionnaire pour l’époque, qui donne l’impression que le vaisseau est en mouvement, et qui va attirer les studios du monde entier. En 1978, Industrial Light & Magic, le studio de trucages fondé par George Lucas en 1975, décroche un premier Oscar des meilleurs effets visuels pour son système. La firme indépendante en décrochera une dizaine d’autres, travaillera sur plus de 300 films et lancera une nouvelle mode à Hollywood : « Sur les 100 films qui ont connu le plus de succès, 93 sont des films à effets spéciaux » explique Robert Blalack, l’un des créateurs d’ILM, à Francetvinfo. « Hollywood utilisera la même recette jusqu’à ce qu’il y en ait une nouvelle. Le business du cinéma, c’est réduire les risques. Les studios visent une rentabilité maximum. Si les films sur la vie des glaçons avaient du succès, Hollywood feraient des films sur les glaçons. »
Aujourd’hui, George Lucas s’est volontairement détaché de sa propre création, dans laquelle il ne se retrouve plus vraiment. Dans son autobiographie, Bob Iger (le patron de Disney, ndlr) raconte que le réalisateur n’était pas convaincu de l’épisode VII, marquant le retour de la saga sur grand écran. À cause de l’absence d’innovation, d’ailleurs : « Juste avant la sortie mondiale du film, Kathleen Kennedy a projeté Le Réveil de la Force pour George » explique-t-il. « Il n’a pas caché sa déception. "Il n’y a rien de neuf", a-t-il dit. Dans chaque film de la trilogie originale, c’était important pour lui de dévoiler de nouveaux mondes, de nouvelles histoires, de nouveaux personnages, et de nouvelles technologies. Dans ce film, "il n’y avait pas assez d’innovations visuelles ou techniques ». Mais comme le relate Première, le réalisateur aurait été plus convaincu par la suite : Les Derniers Jedi. Reste à savoir ce qu’il pense de l’Ascension de Skywalker, qui sort en salles le 19 décembre prochain. Et si ça ne lui plait pas, il peut toujours faire un film sur la vie des glaçons.