Depuis l'introduction du mode Ultimate Team, la communauté soupçonne EA de fausser l'issue des matchs par l'intermédiaire d'un mystérieux algorithme. Résultat : en 2020 trois américains sont allés au bout de l'idée en attaquant l'éditeur en justice, avant de finalement retirer leur plainte. Suffisant pour enterrer une légende urbaine ternissant la réputation de l'une des franchises de jeux vidéo les plus populaires du globe ? Pas si sûr.
Le scénario, vous le connaissez, et vous allez le revivre sur FIFA 22 : c'est la 90e minute, votre équipe mène 1-0. Les statistiques plaident en votre faveur : 65% de possession avec 28 tirs, dont 14 cadrés. Quand le quatrième arbitre annonce 4 minutes de temps additionnel, l'affaire semble pliée. Et pourtant, vous sentez que le pressing adverse est plus intense, que les défenseurs coupent toutes les trajectoires et sont, globalement, plus vifs que lors des 90 premières minutes. Puis c'est le drame : une perte de balle anodine au milieu de terrain mène à l'égalisation. Ce genre de mésaventure dans le money time, qui donne passablement envie de briser la manette en deux, tout quitter et partir élever des chèvres dans le Larzac, se produit régulièrement sur le titre d'EA. Trop souvent, selon la minorité bruyante de la communauté FIFA, qui a identifié le coupable depuis des années : le « script ».
L'algorithme de la discorde
Mais de quoi s'agit-il, au juste ? Le « script » (ou « momentum ») est le surnom donné à une technologie baptisée « Ajustement Dynamique de la Difficulté » ou DDA, pour les intimes. Son rôle présumé : réajuster les statistiques des joueurs de l'équipe perdante quand le match est à sens unique. En bref, l'algorithme vous rend la tâche plus complexe quand vous gagnez, et inversement proportionnel - de préférence juste avant la mi-temps, ou en fin de rencontre pour en changer l'issue. Au sein de la communauté, des utilisateurs lambda aux youtubers influents en passant par certains joueurs professionnels, beaucoup croient fermement en son existence. « Oui [le script] existe, ce n'est pas une légende, affirme Fouad "Rafsou" Fares, joueur professionnel passé notamment par l'Olympique Lyonnais ou Team Vitality dans les colonnes de SoFoot. Vu le nombre de buts qu’il y a à la 45e, à l’engagement ou à la 90e, c’est impossible qu’il n’y ait pas de script. » Il précise : « Par script, j’entends que les joueurs ont un momentum avec des stats cachées et qui sont révélées à ce moment-là (…) C’est tellement gros que l’on se dit toujours attention à la 45e quand on joue. Du coup, quand je vois que j’ai la balle à la 40e, je la garde jusqu’à la 45e. Là, je commence à attaquer, et bizarrement, il y a des trous pour marquer des buts... ».
De son côté, EA a toujours rejeté ces allégations en bloc, arguant que le déroulé des matchs en ligne représente fidèlement la réalité du football où les erreurs individuelles peuvent faire basculer l'issue d'un match. « Nous construisons notre simulation en intégrant les différents principes du football, écrit l'éditeur sur Twitter. Ces principes incluent un système d'erreurs et un système physique qui apportent variété et authenticité au jeu. Chaque année, nous essayons de limiter les situations dans le jeu qui semblent aléatoires et hors du contrôle de l'utilisateur. ». Selon EA, les errements individuels en fin de partie sont liés au niveau de fatigue ou global du joueur. La seule rencontre où l'IA est ajustée en fonction de son déroulement, jurent-ils, est le match d'introduction en offline permettant de « déterminer quel niveau de difficulté est adapté pour vous ». Tout en admettant, au passage, qu'ils ont bien fait breveter la technologie « Ajustement Dynamique de la Difficulté » sans jamais l'implémenter dans l'une de leurs simulations sportives, Madden et NHL compris. En 2017, le directeur créatif Matt Prior confirmait la chose à Eurogamer : « Il existe une part d'erreur dans certains algorithmes de contrôle de balle. C'est intégré dans le jeu, mais tout est mesuré au niveau individuel. Il n'est pas tenu compte du fait que le score est de 1-0 à la 90e minute (...) cela peut arriver à tout moment. C'est ce qui fait la beauté de ce sport. ».
Une plainte déposée...
Un argumentaire visiblement insuffisant pour trois californiens qui, en 2020, ont porté l'affaire devant la justice américaine. Pour eux, aucun doute, les dés sont pipés et l'objectif d'EA est clair : inciter à l'achat de packs de joueurs, ces fameuses « lootboxes » qui seront potentiellement bientôt assimilés, par certaines législations, à des jeux de hasard. « EA utilise des mécanismes d'ajustement de la difficulté car il existe une corrélation directe entre l'engagement accru du joueur et les dépenses dans le jeu. » peut-on lire dans la plainte.
… puis annulée
Résultat : le service juridique d'EA a dû se résoudre à divulguer le code du jeu aux plaignants et leur donner accès aux développeurs pour noyer le poisson. En mars 2021, la plainte est annulée sans plus d'explications. Si le script est définitivement un mythe, ou tout du moins reconnu comme tel par la justice, pourquoi est-il devenu un meme sur les réseaux sociaux, le sujet central de vidéos cumulant plusieurs centaines de milliers de vues et aussi accrocheur et plausible que la légende des pilules anti-vomissements dans les burgers McDo ? Matt Prior a son idée sur la question : « On peut avoir l'impression [qu'EA triche] quand on est de l'autre côté du miroir. Il y a toujours une excuse ! C'est du skill quand on gagne, et de la triche quand on perd. »