Il a travaillé sur de nombreuses licences iconiques comme Barbie, Les Simpsons, James Bond ou Call of Duty. Mais Glen Schofield n'a jamais autant brillé qu'en développant Dead Space, l'un des survival horror les plus ambitieux, terrifiants et oppressants des années 2000. Quoi de plus naturel, donc, que de revenir au genre qui l'a consacré avec The Callisto Protocol ? Portrait d'un maître de l'horreur.
Si l'on devait parier sur l'apparence visuelle des « centaines de toiles » entreposées dans le garage de Glen Schofield, père de Dead Space, The Callisto Protocol mais surtout peintre à ses heures perdues, on miserait, candidement, sur un rendu visqueux et morbide reprenant les codes du « body horror », un sous-genre dont il est l'un des représentants dans le paysage vidéoludique depuis 2008 comme le rappelle un journaliste du Monde. La logique, si l'on se réfère à son curriculum vitae, voudrait donc que ses œuvres soient remplies de personnages éviscérés, bicéphales, démembrés ou en proie à une infection quelconque. Mais comme les apparences sont trompeuses et qu'il faut, parait-il, distinguer l'homme de l'artiste, nous avons voulu confirmer cette hypothèse. Et la réalité, comme il est coutume de l'annoncer en majuscules dans l’accroche d'une publication ou le titre d'une vidéo, risque de vous surprendre. « Je peins des grands paysages terrestres ou marins, et je ne sais pas comment j'en suis arrivé à cela,s'interroge-t-il auprès de Screen Rant. Je suis passé d'illustrations de science-fiction aux paysages. Je sors et je photographie. Je dois prendre des milliers de photos pour en obtenir une ou deux que je vais ensuite assembler sur Photoshop, puis peindre ».
Barbie gueule
Difficile pour nous, simples mortels, de s'imaginer conceptualiser le physique ingrat des Biophages ou Nécromorphes sans faire de cauchemars. Glen Schofield, en revanche, met du cœur à l'ouvrage, qu'importe le sujet et avec un souci du détail qui le caractérise. C'est sans doute pour cela que l'alumni de l'Institut Pratt, qui a débuté dans l'industrie du jeu vidéo en bas de l'échelle, est devenu un créatif respecté. Dès 1992, avec Barbie : Game Girl sur Game Boy, premier titre sur lequel il est crédité, il développe une méthode de travail qu'il applique tout au long de sa carrière passée entre Crystal Dynamics, Visceral Games (Electronic Arts), Sledgehammer Games (Activision) et Striking Distance Studios (Krafton). Elle est calquée sur celle d'une référence d'un autre genre, dont il admire le travail de recherche exhaustif : Arthur C. Clarke, auteur de 2001 : L'Odyssée de l'Espace. « J'ignorais tout de Barbie, j'ai donc acheté des poupées et analysé la façon dont elles étaient habillées, raconte-t-il à GamesRadar. Je me suis rendu dans les rayons femmes des magasins de prêt-à-porter, j'ai fait mes recherches et c'était parfois embarrassant. Mes collègues déposaient une poupée Barbie sur mon bureau, ou un sac à main, ils se moquaient de moi. Mais c'est moi qui ai eu le dernier mot ». Selon lui, Barbie : Game Girl est, cette année-là, le plus gros succès d'Absolute Entertainment, son premier employeur.
Un autre exemple parlant ? Lors du développement de Dead Space, considéré – à raison - par certains observateurs comme le jeu le plus terrifiant de l'histoire, il somme son équipe d'analyser des photographies de cadavres ou de scènes de guerre, conscient que le gore est parfois cheap et irréaliste dans les jeux vidéo, et que « plus une créature est proche de nous, plus elle est perturbante ». « De nos jours, Internet est truffé de ce genre d'images, se justifie-t-il dans les colonnes d'Eurogamer. On trouve des trucs horribles, comme des personnes qui se tirent une balle dans la tête. Nous avons des tonnes de données de ce genre. [Les développeurs] les regardent avec attention et au bout d'un moment, ça ne les dérange plus. Comme un médecin ou une infirmière qui voit ça tous les jours ». L'ambition ? construire, pixel par pixel, le « jump scare » parfait. Celui auquel on n'échappe pas, même en y étant mentalement préparé, tant l'environnement est immersif et l'atmosphère oppressante.
Space abouti
C'est sans doute pour cela que Dead Space a tant marqué son temps. Dévoilé en octobre 2008, à une époque où Electronic Arts mise sur le renouvellement de licences récurrentes, le survival horror à la troisième personne apparaît comme un pari osé mais calculé, tant Glen Schofield maîtrise son sujet. Épris de science-fiction, fasciné par le travail de Ridley Scott ou de John Carpenter, il convainc les dirigeants d'EA, au terme d'une âpre négociation qui dure 18 mois, de le placer aux manettes d'une équipe dédiée au projet qu'il vend comme un « Resident Evil dans l'espace ». Pari gagnant : Dead Space est acclamé par la critique, se vend bien et collectionne les distinctions. Il ne participe pas au développement des itérations suivantes, en 2011 et 2013, préférant créer sa structure pour travailler sur Call of Duty. Mais déjà, il le sait : si l'occasion se présente, il reviendra au genre qui l'a consacré.
Avance rapide jusqu'en 2019. Libéré de ses obligations envers Activision, il s'offre une retraite spirituelle à Tucson, à quelques kilomètres de la frontière américano-mexicaine. Dans le désert de l'Arizona, où il passe plusieurs semaines à pondre un pitch qui lui ressemble, il conceptualise Meteor Down – survival horror dans l'espace qui deviendra The Callisto Protocol. « Chassez le naturel et il revient au galop », dit-on, et comme prévu, le concept partage de nombreuses similitudes avec l’œuvre majeure de son portfolio. « Picasso a dit : les bons artistes copient, les grands artistes volent. Pourquoi ne pas me voler ma propre idée ? » se persuade-t-il, à raison. Armé d'une présentation Powerpoint et d'un scénario d'une trentaine de pages, il démarche plusieurs éditeurs. Il s'entend, finalement, avec un partenaire original : la société coréenne PUBG Corp, devenue Krafton, qui aspire à diversifier son catalogue avec le « Call of Duty guy ». Le contrat est signé lors du DICE Summit 2019 : Glen Schofield a carte blanche pour fonder un studio, qu'il baptise Striking Distance. Développé dans un contexte de pandémie, The Callisto Protocol a été dévoilé le 2 décembre dernier et propose d'incarner Jacob Lee, un spationaute incarcéré dans un centre pénitentiaire qu'il partage avec d'affreuses bestioles mutantes. Hasard du calendrier : dans un mois, le jeu aura le remake de Dead Space pour principal rival. L'occasion, pour Glen Schofield, de montrer qu'il n'est pas étranger au succès du jeu original. Pas de quoi le stresser, cependant : « Dans l'histoire du jeu vidéo, je dois être le seul développeur à me retrouver concurrencé par mon propre jeu ».
The Callisto Protocol est disponible sur PC, PS5, PS4, Xbox Series X/S et Xbox One.
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