Des jeux bienveillants, accessibles et loin des standards édictés par les géants de l'industrie : les « wholesome games » attirent de plus en plus de joueurs à la recherche d'une expérience positive pour s'évader d'un quotidien devenu pesant et anxiogène.
C'est une chambre exiguë, dont la superficie permet tout juste d'installer un lit mezzanine et un meuble de rangement sous la fenêtre. Trois cartons, truffés d'objets laissant deviner que le personnage principal est encore à l'aube de son existence, sont posés sur la moquette. « Enfin, ma propre chambre », peut-on lire sous une photo capturée après que nous ayons rangé jouets, peluches ou journal intime sur le peu de centimètres carrés prévus à cet effet. Cette scène d'introduction, dont on sait uniquement qu'elle se déroule en 1997, est le premier tableau d'Unpacking : puzzle game développé par le studio australien Witch Beam. Commercialisé depuis le 2 novembre, ce titre où l'on incarne une jeune fille – dont on ne sait rien - à plusieurs étapes de sa vie, s'est déjà écoulé à plus de 100 000 exemplaires toutes plateformes confondues. Surprenant, tant le concept semble à mille lieux de l'idée que l'on se fait d'un jeu vidéo à succès. Consistant, comme son nom l'indique, à déballer des cartons et ranger les affaires qui s'y trouvent dans une pièce, Unpacking est l'une des bonnes surprises de la fin d'année. « Je pensais que nous développions un jeu de niche qui ne plairait qu'aux personnes qui aiment l'organisation, s'étonne Tim Dawson dans les colonnes du Guardian. Mais il semble en fait avoir un attrait plus large ». Et pour cause : Unpacking a attiré l'attention d'une communauté adepte des expériences positives, bienveillantes et relaxantes. Ces jeux qu'on range, dans le milieu, dans la catégorie des « wholesome games ». Mais de quoi s'agit-il, au juste ?
Une appellation popularisée par un collectif
Si le concept n'est pas nouveau, en témoigne – entre autres - le succès du mastodonte Animal Crossing, les contours de la terminologie « wholesome » ont été dessinés récemment par le collectif américain Wholesome Games. Lancé en 2019 par les frères Matthew Taylor et James Tillman, d'abord sous la forme d'un compte Twitter de curation de contenus, Wholesome Games se constitue une base de plus de 200 000 followers sur l'ensemble de ses plate-formes sociales en quelques mois. « D'un coup, nous avons ce réseau de développeurs et journalistes qui nous suivent, de joueurs qui discutent sur notre serveur Discord des titres auxquels ils jouent et ce qui les rend sains à leurs yeux » se souvient James Tillman dans les colonnes de NME.
Moins d'enjeu, de violence et de stress
En 2020, le collectif profite du momentum pour organiser un événement en ligne, baptisé Wholesome Direct. L'objectif de la démarche : mettre en lumière des titres indépendants passés sous les radars et rentrant dans leurs critères de sélection, qu'ils savent subjectifs. « La question de savoir ce qui fait qu'un jeu est sain revient sans cesse dans notre communauté. Et bien que des thèmes communs émergent parfois de ces conversations, nous pensons que cela dévalorise la discussion de suggérer qu'il y aura une réponse finale » peut-on lire sur leur site. Cependant, les fondateurs ont tout de même grossièrement défini leur vision du « wholesome game » : moins d'enjeu, de violence et de stress, des thèmes positifs, une bonne représentation des groupes marginalisés et une esthétique conviviale et accueillante, bien que ce dernier critère fasse débat. « C'était comme dire qu'un jeu mignon est forcément sain alors qu'il y a des jeux mignons (…) qui me dégoûtent moralement » précise James Tillman. Mais la sur-représentation de cette esthétique « UwU » - en référence à l'émoticône symbolisant la mignonnerie – dans les jeux « wholesome » a aussi un objectif fonctionnel pour les développeurs indépendants, rappelle un journaliste du média américain The Verge : produire un contenu attractif pour l’œil sans disposer des mêmes moyens humains, techniques et financiers que les géants de l'industrie. C'est l'une des forces du genre, au même titre que ses mécaniques simples et accessibles qui éveillent l'intérêt du plus grand nombre.
Plusieurs facteurs privent automatiquement (et logiquement) un titre de la « labellisation » wholesome : la présence de contenu haineux, intolérants ou des antécédents d'abus chez les développeurs. Mais quid de la violence ? Un jeu peut-il être sain et violent, où est-ce l'aspect qui différencie ces productions d'une industrie reposant, selon GamesIndustry, « sur la vente du même mécanisme fondamental : la capacité de tuer » ? D'après le média britannique, sur les 349 jeux présentés lors des conventions annuelles tels que l'E3 en 2021, seuls 115 ne présentent ni scènes violentes, ni mécanisme encourageant à y recourir pour progresser dans l'histoire. C'est 33% du total, et la majorité provient de la sphère indépendante et du Wholesome Direct (où ils représentent 83% des jeux sélectionnés). Et pourtant, les membres du collectif sont unanimes : la violence dans les jeux vidéo peut être saine. « Si vous renversez un oppresseur ou un dictateur par la violence, est-ce sain ? Pour certaines personnes, oui, rappelle Jenny Windom, organisatrice de l'événement, à NME. Parce que défendre le bien, même avec la violence, est parfois sain (…) c'est basé sur l'expérience personnelle ». Une analyse partagée par Matthew Taylor, le fondateur : « Je n’ai pas créé Wholesome Games pour tenter de lutter contre les jeux violents ».