Propagande et jeux vidéo : guerre des idées
Dossier
PUBLIÉ LE 21 sept. 2021

Propagande et jeux vidéo :
guerre des idées

Crédit : Ubisoft
Nico Prat
Nico Prat
Expert Micromania-Zing
PUBLIÉ LE 21 sept. 2021

La culture, au travers de la musique, du cinéma, de la télévision, des comics, de la littérature, des cartoons, du pop art, et bien évidemment, du jeu vidéo, est un média privilégié de la diffusion des valeurs, particulièrement américaines, dans le monde entier. Alors, nous nous sommes posés la question : les jeux vidéo sont-ils des instruments de propagande comme les autres ?

Nous sommes en 2002. L’Amérique panse encore ses blessures au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Dans les bacs apparaît alors America's Army, jeu de tir à l’allure tout ce qu’il y a de plus correct, développé par Ubisoft, et l'armée américaine. L’objectif avoué est le suivant : améliorer l'image de l'US Army et inciter les gens à s'enrôler. De fait, si sur le papier, rien ne distingue le jeu de tant d’autres (vous incarnez un soldat et avant de rejoindre le champ de bataille vous devez accomplir une série d'entraînements de base. Subtilité ici : le joueur se voit toujours comme un soldat de l'US Army, et toujours ses ennemis comme une force étrangère, qu'il choisisse d'aller dans l'équipe d'assaut ou de défense. Aussi peu subtil que le jeu Under Ash, qui propose au joueur d'incarner Ahmed, un combattant Palestinien s'opposant à Israël. Sorte de réponse à America's Army, Under Ash, et son successeur Under Siege en 2005, fonctionnent sur les mêmes principes : propager, par le jeu vidéo, une idée, une opinion, une idéologie ou une doctrine et pour stimuler l'adoption de comportements au sein d'un public cible. De la propagande donc.

Touche pas à ma manette

Mais rien de bien surprenant à cela. Comme l’explique Maude Bonenfant, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les données massives et les communautés de joueurs, chez France Culture, “On permet à nos enfants de jouer des heures et des heures à des jeux publicitaires, qui sont clairement là pour faire de la promotion de produits, voire encourager des comportements de consommation, ce qui est de la propagande économique”. Car oui, la propagande ne concerne pas uniquement l’armée, et certainement pas un seul type de jeu. Ainsi, développer des jeux à l’attention des plus jeunes, incluant des échanges commerciaux, des transferts d’argent, c’est déjà une forme de propagande : celle du capitalisme.

Crédit : Mélenchon

Bien évidemment, il fallait que les hommes et les femmes politiques s’en mêlent, et cela n’a pas manqué d’arriver, bien que plus rarement que prévu. Nous nous souvenons tous du jeu de Jean-Luc Mélenchon, Fiscal Kombat, développé par des bénévoles de son équipe. En 2012, David Rachline, le coordinateur de la campagne Web de Marine Le Pen, admettait qu'une vingtaine de bénévoles du Front National "participait activement" aux discussions des forums 18-25 de Jeuxvideo.com. Enfin, Steve Bannon, directeur exécutif de la campagne présidentielle de Donald Trump, n’a jamais caché qu’il avait profité du Gamergate pour aller à la pêche aux électeurs.

Mais ne voyons pas le mal partout, et surtout, réjouissons nous, car les joueurs eux-mêmes, pas toujours dupes, sont bien capables parfois de retourner la situation à leur avantage. En octobre 2019, le développeur américain Blizzard Entertainment a puni Ng Wai Chung, un joueur d'esports hongkongais du jeu vidéo en ligne Hearthstone, pour avoir exprimé son soutien aux manifestations à Hong Kong lors d'une conférence officielle. La réponse du public, entre boycott et critiques, a incité Blizzard à réduire la peine.