Depuis 2009, Riot Games a investi plusieurs millions de dollars pour bonifier et renouveler son seul et unique jeu : League of Legends. Mais aujourd’hui, le studio californien change de stratégie et rêve de conquérir de nouveaux marchés. Une suite logique ?
« L’une des raisons pour lesquelles League of Legends a pris de l'ampleur, ce n'est pas parce que nous sommes bons pour attirer de nouveaux joueurs, mais parce que nous sommes capables de ne pas les perdre. » En marge de l’événement célébrant les 10 ans de League of Legends, Marc « Tryndamere » Merrill (co-fondateur de Riot Games) se veut rassurant. Quelques heures plus tôt, son annonce a eu l’effet d’une bombe : oui, Riot Games va se diversifier et développer de nouveaux jeux. Certains sont déjà baptisés, comme le JCC (jeu de cartes à collectionner) Legends of Runeterra ou le jeu de gestion Esports Manager. D’autres ont encore un nom temporaire. C’est le cas de Project A, un FPS futuriste se déroulant sur Terre ou Project L, un jeu de baston développé par les anciens employés de Radiant Entertainment, studio fondé par le créateur de l’EVO (Tom Cannon) et racheté en 2016.
À la fin, il n’en restera pas qu’un
Pour la firme californienne fondée en 2006, c’est le saut dans l’inconnu et l’occasion de justifier la présence du « s » à la fin de son nom. Car pendant plus d’une décennie, Riot Games a focalisé son attention et ses ressources sur le développement et l’amélioration de League of Legends, son MOBA phare qui, en 2018, lui a rapporté 1,7 million de dollars selon Superdata Research. En 2020, plus de 2500 personnes bossent pour Riot Games aux quatre coins du globe (sans compter les contractuels). League of Legends, qui a grandement participé à l’essor de l’esport pendant la décennie, est redevenu le jeu le plus suivi sur Twitch après avoir été dépassé, pendant un temps, par Fortnite. Et pourtant, malgré ses ressources colossales, Riot Games n’a jamais souhaité conquérir d’autres marchés jusqu’à aujourd’hui. Pourquoi maintenant ? Pour le comprendre, il faut remonter aux origines de leur premier hit.
Onslaught, business model et « Facebook 2 »
L’histoire de League of Legends débute par la rencontre entre Brandon Beck et Marc Merrill, sur les bancs de l’Université de Californie du Sud. Les deux étudiants, promis à un grand avenir dans la finance, tentent un pari fou : fonder un studio et développer leur propre titre. Seul problème : leur approche diffère de ce qu’on a l’habitude de voir dans l’industrie au milieu des années 2000. Ce jeu, ils le considèrent comme une expérience évolutive et pas un « one-shot » : « Nous étions frustrés lorsque les développeurs cessaient de soutenir les communautés impliquées dans les jeux auxquels nous jouions », explique Brandon Beck à Polygon. La première ébauche, qui servira de base pour League of Legends, est baptisée Onslaught. Un jeu « affreux, rembobine Marc Merrill, avec une bande-son métal et des sbires ressemblaient à de petits morts-vivants. » Affreux peut-être, mais dont le concept trouvera rapidement son public.
Ce qui pose problème, au-delà de la qualité subjective du produit, c’est la manière dont les deux hommes l’envisagent. À la fin des années 2000, aucun éditeur ne souhaite investir dans un jeu qui ne sera pas commercialisé en magasin et n’aura pas de suite. Après plusieurs réunions, les fondateurs de Riot Games prennent conscience qu’ils devront, aussi, assumer le rôle d’éditeur. « Quand on a commencé à rencontrer des éditeurs, on s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas leur donner les clés du royaume », explique Marc Merrill. Pour concevoir son business model, Riot Games se tourne plutôt vers l’Asie et la Silicon Valley. « À l’époque, nous nous sommes inspirés des éditeurs asiatiques, mais aussi des sociétés Internet », se remémore Nicolas « Nicolo » Laurent, devenu PDG de la firme en 2017, dans les colonnes du Monde. « Facebook, c’est une inspiration pour moi. Il n’y a pas de ‘Facebook 2’ il n’y a pas de second site Web. Facebook a lancé le sien et continué à l’améliorer avec le temps. C’est ce qu’on essaie de faire »
Le client est roi
Depuis la sortie de League of Legends en 2009, Riot Games n’a jamais voulu brûler les étapes ni dévier de son projet de base. L’expérience du joueur prime. L’entreprise, qui pense sur le long terme et développe des jeux auxquels on s’accroche pendant des années, a conservé le même ADN. Elle est restée à l’écoute de la communauté et a continué d’investir massivement pour renouveler son produit. « Notre état d'esprit (…) est de devenir l’entreprise de développement de jeux vidéo la plus focalisée sur le joueur au monde », explique Marc Merrill à VentureBeat. Nicolas Laurent partage cette vision : « Après le succès de League of Legends, les actionnaires et investisseurs, les journalistes, tout le monde dans le métier nous demandait : quel est le prochain jeu que vous allez sortir ? », raconte-t-il au micro de jeuxvideo.com. « Alors que les joueurs, eux, ne nous demandaient pas ça ! Ils voulaient voir évoluer LoL avant tout ! C'est pour ça qu'on s'est concentré dessus, on ne voulait surtout pas développer des jeux au détriment de League of Legends. »
Tout vient à point qui sait attendre
Riot Games ne s’est, par exemple, pas engouffré dans la brèche du battle royale en 2017, quand Fortnite et PUBG sont devenus des phénomènes de société. Et ça, tous les éditeurs ne peuvent pas en dire autant. Le studio a continué de développer ses projets en secret dans son département R&D - auquel certains employés n’ont même pas accès - sans pression ou intervention extérieure. Pas même de Tencent, le géant chinois qui a acheté une partie du capital de Riot Games en 2015. Bien conscient, sans doute, que League of Legends n’allait pas tomber dans l’oubli de sitôt.
Legends of Runeterra, dont la beta ouverte a été lancée le 23 janvier dernier, était par exemple en développement depuis 2010. « On l'a annulé, on l'a relancé, on a changé d'équipe... Ça doit faire trois ou quatre ans qu'on développe la dernière version de Legends of Runeterra », explique Nicolas Laurent. Patient, méticuleux, Riot Games a désormais les ressources suffisantes pour mener plusieurs projets de front en suivant son propre calendrier. Un avantage stratégique non négligeable sur la concurrence.
Est-ce que tous les projets du studio seront capables de concurrencer les mastodontes du secteur ? De revendiquer 8 millions de joueurs actifs comme League of Legends ? Sans doute pas. Mais grâce à son business model, Riot Games s’est donné le droit de rêver. « Nous pensons que nous pouvons faire la même chose [qu’avec League of Legends] sur nos futurs jeux. »