Pourquoi les titres des jeux japonais sont aussi longs ? Cette semaine, nous accueillons un certain Master Detective Archives Rain Code, une nouvelle production (très attendue) issue du pays du Soleil Levant, et pourtant il y a eu bien pire en terme de noms de jeux vidéo interminables en provenance du Japon. Retour sur quelques titres interminables et les raisons de cette spécificité, avec plus ou moins de sérieux.
Écrit par : Guillaume “Antistar” Leviach
Cela ne vous aura sans doute jamais échappé : en plus de proposer régulièrement des perles d’inventivité et d’originalité, le Japon est également capable de créer des jeux vidéo aux titres absolument interminables, au point de se demander d’où peut bien provenir cette étrange spécificité. Non, nous n’évoquerons pas ici des cas très particuliers comme un certain NieR Replicant ver.1.22474487139… dont le titre, que nous avons évidemment écrit de tête et sans le re-vérifier au préalable, est à l’image de son fantasque créateur Yoko Taro. En revanche, vous retrouverez des cadors du genre tels Dragon Quest Swords : La Reine masquée et la Tour des miroirs ou Kingdom Hearts HD 2.8 Final Chapter Prologue, sans oublier bien sûr Naruto Shippuden: Ultimate Ninja Storm 4 Road To Boruto. Mais pourquoi sont-ils aussi LONGS ?
Comment bien vendre un jeu vidéo ? La logique voudrait que son titre soit le plus accrocheur et évocateur possible, soit en un seul mot comme aiment le faire les indés (Limbo, Undertale, Celeste, Rime, Tunic…) ou bien avec un groupe de mots accrocheur qui résume immédiatement ses intentions (Super Mario Bros., Grand Theft Auto, Assassin’s Creed) et généralement suivi d’un sous-titre. Au fil des années, et du succès des licences, les titres se rallongent forcément, mais il semblerait que les studios occidentaux tentent des efforts de minimalisme dont leurs homologues japonais n’ont cure. La série des adaptations vidéoludiques du manga Naruto en est un parfait exemple, avec un Naruto Ultimate Ninja Heroes 2: The Phantom Fortress qui aurait quand même pu être quelque peu raccourci.
Au fil des générations, on réalise très rapidement que la modestie qui caractérise pourtant si bien les Japonais ne transparaît absolument pas de leurs créations, aux titres pompeux, épiques et qui en disent à la fois trop et pas assez. Il faut impérativement que l’âme du titre en ressorte, que sa principale mécanique de gameplay ou son ressort scénaristique essentiel y soit explicitement souligné. N’est-ce pas, The Legend of Heroes II: Prophecy of the Moonlight Witch ? Cependant, vous l’aurez remarqué, nous ne citons ici que des titres traduits en anglais : c’est peut-être après tout notre faute, à nous autres Occidentaux, si les jeux japonais ont droit à des noms à rallonge sur les jaquettes…
En nous plongeant un peu plus dans les rouages de l’étrange machine à baptiser les jeux japonais, nous réalisons alors une évidence : ceux-ci ne sont absolument pas pensés pour être traduits. C’est bien connu, les développeurs de l’archipel pensent avant tout à leur propre public – ce qui peut se comprendre – et pendant les premières générations de consoles, nous devions attendre parfois plusieurs années avant de les voir débarquer dans nos contrées, traduits a minima en anglais (et ça, c’est quand nous avions droit au privilège immense d’une localisation occidentale).
Or, la langue japonaise, bien plus complexe que la nôtre, utilise trois alphabets distincts avec de nombreux caractères utilisés dans les titres des jeux vidéo : les hiragana, les katakana et les kanji. Grossièrement, ceux-ci se traduisent généralement par des syllabes entières, ce qui permet de concentrer en quelques caractères seulement des titres assez denses en termes de sémantique. Ainsi, “The Legend of Zelda”, qui se compose de 16 caractères et 3 espaces dans notre alphabet, n’en utilise que 6 dans sa version japonaise : “ゼルダの伝説” (prononcez “Zeruda no Densetsu”). Il est de fait moins compliqué pour des éditeurs japonais de tolérer des titres un peu plus longs, qui rentrent sans grosse difficulté sur la jaquette d’un jeu, sans se préoccuper d’à quoi ils ressembleront une fois traduits dans des langues occidentales. C’est comme cela qu’on arrive, par exemple, à un “ドラゴンクエストソード 仮面の女王と鏡の塔” en 20 caractères seulement (aussi long, par exemple, que les 19, espaces compris, de “The Legend of Zelda”), mais qui une fois traduit en français, devient l’interminable “Dragon Quest Swords : La Reine masquée et la Tour des miroirs”.
Cependant, certains éditeurs facétieux ont parfaitement conscience de cela, comme D3 Publisher qui a choisi de jouer sur la mode des titres à rallonge pour baptiser un de ses jeux “夏色ハイスクール★青春白書 ~転校初日のオレが幼馴染と再会したら報道部員にされていて激写少年の日々スクープ大連発でイガイとモテモテなのに何故かマイメモリーがパンツ写真ばっかりという電実と向き合いながら考えるひと夏の島の学園生活と赤裸々な恋の行方。~”. Oui, même en japonais, c’est interminable, et c’est volontaire. Traduit en anglais, cela donne “Summer-Colored High School ★ Adolescent Record – A Summer At School On An Island Where I Contemplate How The First Day After I Transferred, I Ran Into A Childhood Friend And Was Forced To Join The Journalism Club Where While My Days As A Paparazzi Kid With Great Scoops Made Me Rather Popular Among The Girls, But Strangely My Camera Is Full Of Panty Shots, And Where My Candid Romance Is Going”, ce qui est délibérément absurde, et témoigne d’une certaine auto-dérision de la part des concepteurs de jeux japonais vis-à-vis de leurs titres à rallonge !
Quand on y réfléchit, un titre comme Master Detective Archives Rain Code n’est finalement pas si long. Enfin, sauf si on parle de sa durée de vie, que l’on espère à rallonge, et ce quelle que soit la langue dans laquelle on y joue ! Dans ce jeu d’aventure développé par Spike Chunsoft et disponible sur Nintendo Switch, vous aurez par ailleurs des énigmes bien plus délicates à résoudre que “pourquoi les jeux japonais ont-ils des titres aussi longs ?”.
Master Detective Archives Rain Code