Plusieurs studios se sont librement inspirés du style et de la formule de Game Freak pour pondre leur propre « Pokémon-like » mais jusqu'ici, aucun d'entre eux n'a converti l'essai. Pourquoi, au juste ?
« Le jeu va-t-il trouver son public ? ». L'interrogation est légitime et occupe l'esprit des développeurs de Crema ce 29 mai 2018. Quelques heures plus tôt, le studio basé à Madrid a dévoilé son projet aux « backers » de la plate-forme de financement participatif Kickstarter : Temtem. Un clone assumé de Pokémon - dont le nom est cité dans la présentation - mais avec un twist : il s'agit d'un MMO. « Nous ne cachons pas que nous sommes grandement inspirés par [Pokémon] et que notre projet est de créer le jeu auquel nous avons toujours voulu jouer » se justifient-ils. Comprenez : Temtem reprend la même formule, avec un héros qui parcourt le monde, capture des bestioles, les fait combattre et devient le meilleur dresseur. Mais le studio hispanique a de la suite dans les idées et va plus loin, en proposant des mécaniques de combat plus évoluées et dénuées de facteurs aléatoires. Un titre plus mature, donc, le postulat étant que les principes fondateurs de Pokémon sont assimilés. La mayonnaise prend : plus de 570 000 euros sont récoltés dans l'opération. Une somme astronomique prouvant qu'il est possible de chasser sur le terrain de l'indétrônable mastodonte quand on propose une nouvelle approche. « Le truc avec Pokémon, c'est qu'il y a de la peur, avance Guillermo Andrades, directeur du jeu, dans les colonnes de La Vanguardia. Personne n'a jamais tenté de les battre ». Et pour cause : sans jamais être pionnier et en exploitant des mécaniques éprouvées, Game Freak a tout de même accouché de son propre style. Et depuis la sortie des versions originelles, il est un monument difficile à copier et, surtout, impossible à détrôner. Comment l'expliquer ?
Le principe fondateur de Pokémon, sorti en 1996 au Japon et trois ans plus tard en Europe est de capturer, entraîner et faire combattre des monstres, mais Game Freak ne l'a paradoxalement pas inventé. En 1992, Dragon Quest V se prête à l'exercice mais le monument du JRPG ne parvient pas à s'exporter. Pokémon n'a pas non plus accouché du système de combat au tour par tour, et encore moins des principes généraux du jeu de rôle. Sa force ? Piocher dans toutes ces références pour pondre une formule qui ratisse large. Comprenez : qui plaît au-delà des frontières du Japon, ce qui n'est pas si évident à l'époque même quand on s'appelle Nintendo. « Lorsque nous avons lancé le projet au Japon, la première chose qu'on m'a dite est que le jeu ne plairait pas aux américains, s'amuse Shigeru Miyamoto, légende de la firme japonaise et producteur des titres originaux. Aujourd'hui, le jeu est tout aussi populaire aux États-Unis [qu'au Japon] et j'ai compris qu'il ne fallait pas faire confiance aux spécialistes conservateurs du marketing ».
Si l'œuvre de Game Freak plaît tant dans des régions allergiques aux RPG au milieu des années 1990, c'est parce qu'elle s'est affranchie de certains principes. L'accent est mis sur le gameplay au détriment de la narration. Toutes les interactions avec les PNJ ont pour objectif de faire comprendre les règles qui régissent l'univers. « L’affrontement de Pokémon est l’équivalent d’un sport pratiqué par la quasi-totalité de la population, généralement sans animosité » estime Oscar Lemaire, journaliste spécialiste de Nintendo, dans les colonnes du Monde. Le terme « sport » est soigneusement choisi, car les combats entre Pokémon sont soumis à plusieurs règles facilement assimilables par les plus jeunes mais délicates à maîtriser pleinement. Sans faire offense à votre culture générale, rappelons le principe : chaque Pokémon dispose d'un ou plusieurs types (eau, feu, terre etc.) et de compétences associées. L'eau bat le feu, le feu bat les plantes, et ainsi de suite à la manière d'un match de pierre-feuille-ciseaux. Très vite, le novice comprend le schéma et gagne en compétences en s'intéressant, par la suite, à d'autres subtilités. « Tout comme un joueur d’échecs connaît parfaitement les règles de déplacements des pions, un joueur de Pokémon connaît lui aussi par cœur les affinités entre les types » souligne Loup Lassinat-Foubert, co-auteur du livre Générations Pokémon. Autre atout, et pas des moindres : comme dans le sport, les règles évoluent peu. Si Game Freak a affiné sa recette au fil des années, en proposant quelques twists ici ou là, il est tout à fait possible pour un ancien joueur de replonger dans l'univers sans être totalement largué. « [Recommencer Pokémon] est comme revenir dans sa ville natale après avoir passé quelques années à l'étranger, explique un journaliste dans un billet publié sur le site Polygon. Les choses sont un peu différentes ici et là, mais dans l'ensemble, tout est à peu près conforme à vos souvenirs. C'est familier et réconfortant. »
Vous l'aurez compris : Pokémon n'a pas marqué son époque en révolutionnant le gameplay ou la narration mais en proposant une formule rejouable à l'infini. En touchant les nostalgiques en plein cœur. Le manque de nouveauté, qui apparaît aujourd'hui comme une faiblesse pouvant être exploitée, fait aussi paradoxalement sa force. Et c'est sans doute pour cela, outre les considérations marketing, que Pokémon n'a jamais été vaincu ni même bousculé sur son propre terrain, bien que sa formule ait été parfois calquée. Reste à savoir si Temtem réussira là où les autres ont échoué. L'espoir est permis.
Temtem dans la boutique Micromania