Plus les années passent, plus le concept de “demoiselle en détresse” semble avoir vécu. Les héroïnes sont de plus en plus nombreuses, ont de la personnalité, et le cliché de la jeune femme prisonnière tend à disparaître, offrant quand même un peu plus de diversité dans le pitch de base des œuvres de fiction. Dans le jeu vidéo, la plus célèbre d’entre elles a quand même fait perdurer ce cliché plus que de raison, donnant même l’impression de faire fi de toute forme d’émancipation et de refuser d’assumer un rôle d’icône féministe. C’est bien mal connaître la princesse Peach, présente dans un deuxième jeu vidéo à son nom en tant qu’héroïne principale, avec Princess Peach Showtime! sur Nintendo Switch.
Écrit par Antistar
En 1985, lorsque Nintendo révolutionne le jeu vidéo pour toujours avec le mythique Super Mario Bros., il s’appuie sur un cliché vieux comme le monde pour justifier d’un scénario autour de son titre culte. Le héros, un simple plombier au grand cœur, entend parler du terrible sort réservé à un peuple victime d’un sortilège et dont la princesse, la seule pouvant y mettre fin, a été enlevée par un infâme tyran. Son objectif est de la délivrer afin qu’elle puisse sauver les siens, même si dans les faits, on ne verra jamais rien de cela. Quelques mois plus tard, le constructeur japonais récidive avec un autre immense classique : The Legend of Zelda. Si le nom de la princesse est présent dans le titre du jeu au détriment de celui du chevalier héroïque supposé la délivrer, ce n’est qu’un leurre : l’autre “game changer” de Nintendo repose également sur le même postulat.
Au fil des décennies, d’innombrables autres développeurs de jeux vidéo proposeront leur propre vision de la thématique de la demoiselle en détresse. Il faut dire que le concept est aussi basique qu’efficace, et ne se limitait de toute façon pas au jeu vidéo. Des princesses à sauver, ou des jeunes femmes prisonnières d’un méchant (on caricature, mais c’est ça l’idée de toute manière), il y en a toujours eu dans la culture populaire. En tant que média résolument moderne évoluant très vite, le jeu vidéo a eu l’opportunité de mettre à mal ce cliché assez rapidement, en mettant en scène des héroïnes charismatiques bien qu’encore un peu loin de l’idéal féministe. Au moins, bien qu’hyper-sexualisée, Lara Croft n’était prisonnière de personne, sauf peut-être d’une plastique très vendeuse auprès d’un panel de consommateurs estimé (à tort) comme essentiellement masculin.
Alors que le cinéma n’avait pas attendu pour mettre en avant des héroïnes fortes ne misant pas sur un physique avantageux dans des histoires sombres et violentes, comme le lieutenant Ripley dans la saga Alien dès 1979, le jeu vidéo a pris son temps pour évoluer. Nintendo avait pourtant, dès 1986 et dans la foulée de Super Mario Bros. et The Legend of Zelda, pris soin de mettre en scène une héroïne dans un univers de science-fiction, avec Samus Aran dans Metroid… mais sans jamais révéler son genre, jusqu’à la fin du jeu où le chasseur de primes intergalactique ôte son armure pour dévoiler un bikini.
Peach, de son côté, est restée prisonnière des griffes du roi Koopa pendant des générations, que ce soit dans Super Mario World (1990), Super Mario 64 (1996), Super Mario Sunshine (2002) ou même Super Mario Odyssey (2017). Dans ce dernier opus en date néanmoins, la souveraine du royaume Champignon envoie un message fort en s’émancipant d’elle-même face au mariage forcé dans lequel Bowser tente de l’enfermer, et envoyant même paître Mario, son chevalier servant, pour partir à l’aventure d’elle-même et constituer une surprise étonnante une fois le post-game entamé. En se rebellant de la sorte, la princesse dit non à son statut de demoiselle en détresse, qu’elle a en réalité renié d’innombrables fois par le passé.
En effet, dès 1988, Peach est jouable dans Super Mario Bros. 2, où elle n’est pas du tout l’objet de la quête de Mario, dont elle est un des alliés (et sans doute le personnage au gameplay le plus intéressant du jeu). Elle devient ensuite un des conducteurs jouables dans Super Mario Kart en 1992, ce qui lancera une incroyable carrière sportive pour plusieurs décennies, du tennis au golf en passant par le football et le baseball… pour ne citer qu’eux. Mieux encore : en 2006, Peach devient l’héroïne d’un platformer sur Nintendo DS, intitulé Super Princess Peach, où Mario endosse le costume du prisonnier et où les rôles sont enfin inversés ! Eh oui, cela fait près de 20 ans que Peach a officiellement dit non à son statut de demoiselle en détresse, tout juste accepté à contre-cœur dans Super Mario Galaxy l’année suivante. Une libération que Princess Peach Showtime!, à paraître ce 22 mars sur Nintendo Switch, devrait définitivement confirmer.
Pour croire que la princesse Peach n’est qu’une énième demoiselle en détresse on ne peut plus cliché, il fallait bien n’avoir joué qu’à des jeux de la série Super Mario principale – et encore, même pas à tous. Cela fait en effet bien plus longtemps qu’on ne peut l’imaginer que la plus célèbre des princesses (en tout cas, hors Disney) a pris son envol. En-dehors de quelques épisodes, certes majeurs, les jeux vidéo de l’univers Mario ne font que rarement d’elle une prisonnière, mais plutôt, le plus souvent, un personnage jouable avec ses propres spécificités de gameplay. Mieux encore, Peach témoigne régulièrement d’une forte propension à changer d’apparence pour mieux témoigner de sa volonté de s’affirmer comme une femme forte et indépendante. Un message envoyé clairement dans Super Mario Odyssey, et que Princess Peach Showtime! s’apprête à sublimer encore davantage.