Alors que le loot n’était qu’un élément comme un autre parmi les nombreuses mécaniques de nos jeux, ce dernier prend aujourd’hui de plus en plus de place. Au point de s’imposer comme une étude incontournable pour les développeurs, et redessiner les contours de l'industrie.
Lorsque l’on touche au jeu vidéo, rares sont les sensations plus jouissives que celle de toucher au graal : l’obtention d’un loot attendu depuis belle lurette, ou complètement cheaté. Cette mécanique, autrefois réservée à quelques types de jeux (MMORPG ou Hack and slash, par exemple), est aujourd’hui omniprésente sur une bonne partie des jeux qui font les gros titres. Pour deux raisons : une qui concerne directement votre cerveau, la dopamine, et parce que le loot s’imbrique parfaitement avec les nouveaux modèles économiques qui fleurissent.
Votre cerveau à l’étude
Ce n'est pas pour rien que les jeux avec un mécanisme de loot ont un tel attrait pour le joueur moyen : ce système est directement lié à certains processus mentaux qui nous incitent à revenir en chercher d'autres. Parce que oui, ce doux plaisir que vous ressentez lorsque vous chopez enfin votre épée légendaire, après avoir tué un boss pour la 123ème fois, est bien réel. Et oubliez l’effet placebo. Ici, on parle bien d’une hormone à laquelle vous êtes déjà accro : la dopamine. Pour faire simple et court - surtout parce qu’on n’est pas scientifique pour un sou - la dopamine, ou “l’hormone du bonheur” de son petit sobriquet, est une molécule libérée par votre cerveau lorsque ce dernier associe une action au plaisir. Comme lorsque vous vous grillez une clope après 4h de train, ou après vous être enfilé une connerie beaucoup trop sucrée pour le “régime” que vous n’avez jamais vraiment commencé. Et, si vous n’étiez pas au courant, le fonctionnement de cette molécule est au centre de l’attention de bien des développeurs au moment de fignoler un jeu.
Dans une logique de rétention, voyez par-là le fait de vous faire rester un maximum sur leur jeu, beaucoup d’équipes de développement se penche sur ce sujet au moment de mettre en place ce système terriblement efficace. Pourquoi donc ? L’imprévisibilité des récompenses. Le Docteur Luke Clark, directeur du Centre de recherche sur les jeux de hasard de l'Université de British Columbia l’a expliqué à PC Gamer : "Nous savons que le système de la dopamine [...] est également très intéressé par les récompenses imprévisibles. Les cellules de dopamine sont plus actives lorsqu'il y a un maximum d'incertitude, et le système de dopamine réagit davantage à une récompense incertaine qu'à la même récompense délivrée sur une base prévisible". Allant encore plus loin, certains acteurs de l’industrie vidéoludique s’amusent à calculer minutieusement les intervalles entre lesquels les loots les plus rares vous sont distribués. Pour une raison simple : si vous en obtenez trop peu vous n’avez pas souvent votre dose de dopamine, alors que si vous touchez constamment des armes ou autres butins surpuissants, vous risquez de vite tomber dans la lassitude. Soit le pire ennemi de l’équipe derrière votre jeu.
Des modèles économiques qui favorisent le procédé
Borderlands, World of Warcraft ou The Witcher 3 : Wild Hunt : ces trois jeux embarquent des systèmes de loot, bien différents les uns des autres, qui servent directement leurs gameplays respectifs. Obtenir une nouvelle arme ou une pièce d’armure aux bonnes caractéristiques pour votre set y améliore considérablement la puissance de votre personnage. Le joueur, lambda ou pas, gagne quelque chose de concret qui influe directement sur son gameplay. Mais, au fur et à mesure que l’industrie mute, la même mécanique est mise en place aussi bien dans une logique de rétention (comme expliqué plus haut) que lorsqu’il s’agit de faire passer les joueurs à la caisse. On pense notamment à des jeux comme Hearthstone ou le mode Ultimate Team de FIFA. Dans ces deux exemples, ouvrir des packs de cartes pour obtenir de meilleurs decks et équipes est indispensable à votre progression. Ou du moins, cela accélère grandement votre avancée et vous dispense de plusieurs dizaines d’heures de jeu à farmer. Le problème étant que les ressources nécessaires à l’ouverture de ces packs se font plutôt rares si l’on s’arrête au seul fait de jouer. Du coup, la solution de facilité est très tentante, et vous la connaissez très bien : la carte bancaire. Cet incroyable objet couplé à l’effet de la dopamine donnent un duo dévastateur. Qui touche à un problème plus grave : l’addiction.
Bien évidemment, il ne faut pas - pour le moment - compter sur les différents studios pour endiguer cette pratique. Surtout que la tendance est aux free-to-play, des jeux gratuits qui comptent sur l’attrait de leur boutique pour renflouer les caisses. Pour eux, encore plus que les autres, cette forme de loot - bien loin de ce qu’elle était à la base - est indispensable. Elle se pose même en dépendance financière. Aux joueurs de discerner le “bon” loot du “mauvais”, et de ne pas tomber dans le piège du casino. Sinon, il est impératif de rappeler que ce procédé n’est pas forcément néfaste tant qu’il ne vous est pas imposé de renseigner votre code à 16 chiffres. Car, si l’on est tous fous de jeux vidéo, c’est bien pour se divertir et passer de bons moments.
À partir de là pourquoi se passer de jeux orientés sur leur mécanique de loot comme Borderlands, WoW et autres Diablo ? Au fond, il n’y a rien de mal à persévérer des heures pour obtenir un sniper de la mort qui tue ou le torse de vos rêves. Alors pourquoi passer à côté de ces douces sensations dues à la dopamine si elles sont accessibles sans dépenser un centime ? Pour aucune raison, puisque, sans le savoir, c’est exactement pour cela que l’on a embrassé la vie de geek. Du coup, rangez vite la CB et retournez farmer ce donjon ou autre niveau que vous connaissez par cœur. Votre cerveau vous le rendra une fois le précieux entre vos mains, dans un savant mélange d’adrénaline et de dopamine.