Nokia N-Gage : le vrai fiasco du jeu mobile
Dossier
PUBLIÉ LE 18 févr. 2021

Nokia N-Gage :
le vrai fiasco
du jeu mobile

Crédit : Reddit (u/_ITX_)
Nico Prat
Nico Prat
Expert Micromania-Zing
PUBLIÉ LE 18 févr. 2021

L’histoire du jeu vidéo est riche de mille succès et d’au moins autant d’échecs. Parmi ces derniers, la N Gage est l’un des plus célèbres, et des plus tristes.

La photographie date de 2017, et elle fait mal. On y voit Samuel West, un psychologue américain désormais installé en Suède, et qui a décidé de créer le Museum of Failure, le Musée des échecs commerciaux. Parmi les objets présentés : le jeu de société Donald Trump, des stylos Bic spécial femmes, des lasagnes surgelées Colgate, mais aussi la N-Gage de Nokia, que ce jour-là le Monsieur brandit fièrement pour les photographes intrigués par son projet.

Quelques années plus tôt. Nous sommes en 2002, et le marché du portable se porte bien, tout comme Nokia, dont l'indestructible 3210 s’écoule par palettes entières (environ 126 millions d'exemplaires ont été écoulés jusqu'à son retrait du marché). Ses dirigeants ont alors une ambition : combiner téléphone portable et console de jeu, et affronter sur son terrain la Game Boy Advance. Annoncée le 4 novembre 2002 et lancée le 7 octobre 2003, la N-Gage (nom de code : Starship) veut donc réunir le meilleur des deux mondes. Et sur le papier, elle (ou il ?) ne manque pas d’atouts. Les jeux, d’une part : Crash Nitro Kart, Rayman 3, Spider-Man 2, Splinter Cell: Chaos Theory, Tomb Raider… Mais aussi un accès Internet (en format WAP), Bluetooth, GPS, 250 Mo de mémoire (suffisant pour l’époque)... Trop beau pour être vrai ? Deux semaines après son arrivée sur le marché, Nokia annonce 400.000 ventes, avant de reconnaître avoir menti : seulement 8000 exemplaires trouvent preneur aux États-Unis, et tout juste 800 en Grande-Bretagne. Que s’est-il donc passé ? Beaucoup trop de choses.

Le jeu mobile avant l’heure

Tout d’abord, son design. Oui, la N-Gage ressemblait à un taco, et fut justement nommée le “taco phone” par les esprits moqueurs. Pour téléphoner, il nous fallait placer l’oreille sur la tranche de l’appareil, donnant à tout un chacun un air passablement ridicule. Son ergonomie, ensuite. Les touches, celles d’un téléphone, n’étaient pas adaptées à la pratique vidéoludique. L’écran était plus haut que large. Enfin, il était nécessaire d'ôter le cache en plastique du dos de l’appareil, puis la batterie, afin de changer de jeu, l’emplacement pour les cartouches ayant été placé juste à côté de ladite batterie. Pourquoi ? On l’ignore. Mais ajoutez à tout cela un prix de lancement à 299 dollars, 349 euros chez nous, et vous obtenez un véritable repoussoir.

Crédit : Nokia

Mais le plus triste est encore à venir, et réside dans le déni de ses dirigeants. Malgré les mauvais chiffres (qu’ils tentèrent donc de masquer), malgré les moqueries, Nokia persiste et signe. En février 2004, Jorma Ollila, PDG de la firme, réfute le terme de fiasco et affirme que le temps du bilan n'interviendra que l’année suivante. En 2004 toujours, la N-Gage QD débarque sur le marché. Plus ronde, plus fine, moins chère, il est désormais possible de parler sur la face de l’appareil (et non plus sur la tranche) et il est plus facile de changer les cartes de jeu. Mais rien n’y fait. La production s’arrêtera deux ans plus tard, en février 2006 (deux ans et demi après le lancement), sauf en Inde et en Asie. Pourtant, Nokia continue la promotion de cet objet dont personne ne veut vraiment lors de l’E3 de cette même année. Triste. En avril 2009, le géant de la téléphonie tente une autre approche : N-Gage devient une plateforme, et non plus un appareil autonome, disponible sur les smartphones tournant sous Symbian S60. Le service est finalement fermé en octobre 2009. L’échec, jusqu’au bout.

Que reste-t-il aujourd’hui de cet étrange objet, sans doute mal fichu, et peut-être aussi trop en avance sur son temps (le premier iPhone n’arrivera qu’en juin 2007) ? Un souvenir marquant des années 2000, comme Paris Hilton et Loft Story. Un échec cuisant pour Nokia, qui était le premier constructeur mondial de téléphones mobiles en 1998, et qui ne cessera au fil des ans de perdre de sa superbe. Mais aussi une évidence : voyant des gens dans le métro se promener avec une Game Boy dans la main droite et un mobile dans la main gauche, les dirigeants de Nokia pensaient que mélanger les deux suffirait, oubliant au passage que nous offrir ce que nous voulons ne suffit pas, encore faut-il nous convaincre que nous en avons besoin.