Aujourd’hui encore, on se demande d’où sort le concept fou d’Animal Crossing. Pour le comprendre, il faut regarder en direction de son créateur : Katsuya Eguchi, qui en a eu l’idée en faisant face à plusieurs périodes de solitude.
Très tôt dans sa carrière, alors qu’il vient tout juste d’être diplômé à 21 ans, Katsuya Eguchi atteint l’un de ses rêves : bosser pour Nintendo. Mais pour cela, le jeune japonais doit faire le grand saut et quitter le domicile familial. Malheureusement, il y a un petit hic dans son saut vers la liberté : sa petite ville de Chiba se trouve à plusieurs centaines de kilomètres de Kyoto, la ville qui abrite le QG de Nintendo. Le dépaysement est rude pour le jeune diplômé, et alors qu’il bosse sur des projets passionnants comme Super Mario Bros. 3 ou Super Mario World, il commence de son côté à imaginer un jeu qui pourrait le sortir de sa solitude.
Il l’explique ainsi à Edge en 2008 : "Animal Crossing présente trois thèmes : la famille, l'amitié et la communauté. Mais la raison pour laquelle j'ai voulu enquêter sur ces thèmes est que je me sentais bien seul à mon arrivée à Kyoto ! Chiba est à l'est de Tokyo et assez loin de Kyoto, et quand j'ai déménagé là-bas, j'ai laissé ma famille et mes amis derrière moi. Ce faisant, j'ai réalisé que le fait d'être proche d'eux - pouvoir passer du temps avec eux, leur parler, jouer avec eux - était une chose si grande et si importante. Je me suis longtemps demandé s'il y aurait un moyen de recréer ce sentiment, et c'est ce qui a motivé la création du premier Animal Crossing". C’est à ce moment-là que la feuille emblématique de la licence commence à germer dans son esprit. Mais entre son arrivée chez Nintendo en 1986, et la sortie d’Animal Crossing en 2001, d’autres maux viennent s’ajouter à son mal-être.
Un besoin familial
Alors qu’il est plongé dans la réalisation de gros titres pour le leader nippon, Eguchi réussit tout de même à trouver l’amour et fonder un foyer. Il n’est plus seul à Kyoto, mais le plus gros de son temps est toujours consacré à son travail, et il ne passe que très peu de temps en famille. Cette période le pousse plus loin dans sa réflexion, comme il le confie à Gamasutra : "Je rentrais toujours très tard à la maison. Et ma famille jouait à des jeux, et il arrivait que je joue quand je rentrais à la maison. Et je me disais : ils jouent, et je joue, mais nous ne le faisons pas vraiment ensemble. Ce serait bien d'avoir une expérience de jeu où même si nous ne jouons pas en même temps, nous partageons quand même des choses ensemble. Les enfants pouvaient donc jouer après l'école, et je pouvais jouer en rentrant à la maison le soir, et je pouvais en quelque sorte faire partie de ce qu'ils faisaient quand je n'étais pas là. Et en même temps, ils peuvent voir les choses que je fais. C'était une sorte de désir de créer un espace où ma famille et moi pourrions interagir davantage, même si nous ne jouions pas ensemble".
Embourbé dans cette problématique, il se dit que d’autres parents peuvent y faire face : “Dès le début, mon idée était que, si je devais me résoudre à cette situation, alors il y a sans doute quelque chose à faire pour que des personnes dans un contexte similaire au mien puissent rentrer tard et jouer, où ils pourraient d’une certaine façon prolonger ce que leurs enfants ont accompli”. 19 ans et des millions de ventes plus tard, on peut constater que la vision d’Eguchi était très juste. De nombreux enfants subissent la triste réalité qu’ont vécu les siens, celle de ne bénéficier d’un parent que par intermittence. Plus que les ventes et les montagnes d’argent, la réussite d’Eguchi s’exprime avant tout par la chaleur qu’il a su apporter à ce type de foyer, qui, avant Animal Crossing, était le sien.