Sorti il y a quelques jours, Les Fourmis a réalisé l'impensable : adapter les romans éponymes de Bernard Werber en jeu vidéo. Il faut le voir pour le croire, mais le titre de Microids est effectivement une franche réussite et nous rappelle à quel point le Dixième Art a tissé des liens solides avec la littérature.
Article signé Max Cagnard.
Le 7 novembre dernier, Microids a su briller de la meilleure des manières avec Les Fourmis, disponible en boîte comme en dématérialisé sur PC, PlayStation 5 et Xbox Series. Il s'agit d'un jeu d'action-aventure et de stratégie dans lequel on contrôle une fourmi, la 103 683ᵉ de sa colonie, destinée à guider sa grande famille au-delà des frontières, à vaincre les troupes adverses et à mieux comprendre la nature environnante. Ça parait lunaire, mais il s'agit pourtant d'une adaptation de la mythique trilogie littéraire Les Fourmis de Bernard Werber, écrite dans les années 90, avec notamment l'implication de l'écrivain dans le développement du jeu vidéo. Non seulement l'audace du projet est à saluer, mais l'expérience globale concoctée par Microïds est à la hauteur des ambitions, ce qui en fait l'un des jeux plus curieux et délicieux de cette fin d'année.
Surtout, Les Fourmis est l'énième démonstration des capacités scénaristiques sidérantes du jeu vidéo, et des liens de l'industrie avec celle de la littérature. Après tout, le jeu vidéo est un médium où l'interactivité, au centre même du concept, permet une écriture et un scénario autrement plus complexes que sur n'importe quelle autre plateforme : ici, à Micromania, on est parfaitement convaincu qu'il s'agit du support le plus abouti pour raconter des histoires… et plus d'une fois, les développeurs se sont appuyés directement sur les écrits humains déjà existants pour prendre leur envol.
Les adaptations, premières démonstrations de la relation roman-jeu vidéo
Alors bien sûr, il y a tout d'abord les adaptations de livres en jeu vidéo, qui ne manquent d'ailleurs pas à l'appel. La saga Metro par exemple découlent directement du roman Metro 2033 de Dmitri Glukhovsky, tout comme les mythiques The Witcher qui adaptent avec brio les ouvrages du Polonais Andrzej Sapkowski. On peut aussi citer Les Piliers de la Terre, un point and click sorti en 2017 adapté du roman de Ken Follett de 1989 ou carrément les jeux Tom Clancy's d'Ubisoft comme les Rainbow Six, les Ghost Recon ou les Spinter Cell. Ce n'est pas tout : la Divine Comédie de Dante Alighieri, publiée en 1321, a aussi été adapté avec Dante's Inferno en 2010… et du côté de la bande dessinée, il y a aussi un paquet d'adaptations, de XIII aux Astérix en passant par Blacksad.
Depuis toujours, les romans ont donc servi d'inspiration au jeu vidéo… et c'est bien normal, au même titre que le cinéma a pu aussi servir de matière première. L'autre sens est aussi valable, d'ailleurs : on note de nombreux romans inspirés de jeu vidéo - souvent commandés dans un but commercial, mais il n'empêche - comme des livres Assassin's Creed, God of War, Devil May Cry, Batman Arkham, Battlefield, Borderlands, Crysis, Dead Space, Diablo, Doom, Minecraft, Silent Hill, Sonic, The Elder Scrolls, Tomb Raider, Watch Dogs, World of Warcraft, X-COM et tellement d'autres que la liste exhaustive donne le tournis.
Quand le jeu vidéo apprend à voler de lui-même
Mais l'adaptation reste un principe après tout assez sommaire, sans aucunement renier la difficulté que cela peut imposer pour moult raisons. En revanche, là où la littérature peut être fière du jeu vidéo, c'est finalement quand ce dernier prend son indépendance par rapport à celle-ci en contant des histoires originales, tout en s'appuyant et en s'inspirant de ses grands ténors. Comment ne pas être fasciné, par exemple, devant la ferveur scénaristique de BioShock, dont le contexte social de son univers découle directement des ouvrages d'Ayn Rand ? La saga de 2K Games est, à vrai dire, un excellent exemple : ici, l'un des personnages clefs est Andrew Ryan (quasiment un dérivé d'Ayn Rand, tant dans le nom que dans l'histoire), tandis que tout le courant de pensée de Rapture, véritable socle scénaristique du jeu, s'appuie sur l'objectivisme, philosophie développée par l'écrivaine en question. L'un de ses romans les plus connus, La Grève, est aussi l'une des inspirations principales du studio de développement, tandis que le grand méchant du jeu, Fontaine, est clairement appelé comme ceci en référence à The Fountainhead, autre ouvrage majeur de la romancière.
À bien des égards, BioShock est cité comme l'un des jeux les plus littéraires, mais il serait injuste de ne pas citer des ténors comme les Baldur's Gate ou l'impressionnant Disco Elysium, qui à eux seuls pourraient être qualifiés de livres interactifs si l'on en évinçait les parties de "jeu" purs et durs. Vous en voulez encore ? Le jeu vidéo dispose carrément d'une catégorie "visual novel" et pour le coup, tout est dans le titre : il est ici question de "romans interactifs" où le joueur se contente de défiler des dialogues et des mises en situation, avec toutefois la responsabilité d'opter pour différentes réponses régulièrement, ce qui lui taillera une histoire sur mesure. Pour le coup, on ne parle pas d'un genre de jeu obscur : ce sont des milliers et des milliers de jeux vidéo qui appartiennent à cette division, notamment très prisée des joueurs asiatiques. Le point'n click en partage d'ailleurs de nombreuses similitudes, lui aussi étant finalement une branche débouchant directement de la littérature.
Vous l'aurez compris : les exemples ne manquent pas et l'on pourrait même passer plusieurs heures à parler du sujet. La littérature et le jeu vidéo sont finalement deux collègues à la coopération constante : si le premier a servi de maître dans un premier temps, le second a aujourd'hui toutes les compétences pour le dépasser et dispose même plus d'armes encore pour porter son récit et développer sa narration. Mais il ne s'agit après tout pas d'une compétition : on aime voir les deux médiums dialoguer de la sorte et cela nous rend franchement curieux quant à l'avenir.