Le labyrinthe, dans le jeu vidéo, est un genre en soi, parfois même une étape obligée. Il peut être un but, comme un obstacle. Un lieu de fascination, de disparition, de transgression même. Mais comment naissent les labyrinthes ? Et peuvent-ils perdre, au-delà du joueur, leurs propres créateurs ?
Mais avant toute chose, une petite leçon d’histoire. Mouse in the maze (1959) est une simulation dans laquelle une souris animée et pilotée par l’ordinateur doit retrouver les morceaux de fromage que l’utilisateur aura disposés dans un labyrinthe à l'aide d'un stylo optique avec lequel il peut aussi créer des murs. Une antiquité donc, et le tout premier labyrinthe vidéoludique. Après lui… Et bien, difficile, impossible même de tenir les comptes à jour : Maze War, Surround, Crash, Side Track… Pac-Man, bien évidemment… Le labyrinthe n’a cessé de nous perdre. Pourtant, les labyrinthes remontent à l'Antiquité. Rendu célèbre par l'histoire du Minotaure, un labyrinthe n'a alors qu'un seul chemin menant au centre. Son but n'était pas de semer la confusion, mais tout au contraire, d’attiser la réflexion et la contemplation, entraînant le promeneur, sur un terrain relativement peu étendu, dans un dédale dont l’acheminement sera long.
Les choses ont donc bien changé, et le labyrinthe, désormais et particulièrement dans le jeu vidéo, n’a plus rien d’une promenade de santé. Pour le joueur, comme pour certains exportateurs, de chair et d’os. Ainsi, avez-vous déjà entendu parler de Entombed ? Rassurez-vous, si ce n’est pas le cas, nul ne vous en tiendra rigueur, ce jeu sorti sur Atari 2600 n’ayant laissé aucune trace, ou si peu, dans l’histoire de la pop culture. Entombed, sorti en 1982, raconte l’histoire d’une équipe d’archéologues, perdus dans un dédale de couloirs envahis par les zombies. Naturellement, il vous faut sortir de là au plus vite. Simple, basique, et un brin sommaire. Et pourtant…
Pourtant, nous sommes en 2022, et le labyrinthe virtuel est devenu un labyrinthe mental pour John Aycock, chercheur à l’université de Calgary, au Canada, et Tara Copplestone, de l’université de York, en Angleterre. Leur travail ? Retrouver des jeux oubliés, les démonter, scruter chaque ligne de code, afin de comprendre, hier, comment étaient faits les jeux, comment ils étaient pensés. Dans le cas de Entombed, sur le papier, rien de bien problématique : les jeux de ce genre étaient très courants à la fin des années 1970 et au début des années 1980, et à l'ère d'Atari, dans de nombreux cas, les labyrinthes étaient générés de manière procédurale. Mais là encore, quelque chose cloche.
Votre propre reflet
La suite, c’est au micro de la BBC, en 2019, que les deux chercheurs la racontent : “Il est avéré que le labyrinthe est généré dans une séquence. Le jeu doit décider, au fur et à mesure qu'il dessine chaque nouveau carré du labyrinthe, s'il doit dessiner un mur ou un espace dans lequel les personnages du jeu peuvent se déplacer. L'algorithme du jeu en décide automatiquement en analysant une section du labyrinthe. Il utilise une “table” à cinq carrés qui ressemble un peu à une pièce de Tetris. Cette table détermine la nature du carré suivant dans chaque rangée”. Vous suivez ? Alors laissons les poursuivre : “je pense qu'il y a cette hypothèse selon laquelle lorsque nous trouvons des choses, nous savons ce qu'elles sont. Mais le plus souvent, nous n'avons aucune idée de ce qui se passe”. C’est le cas ici. Nul n’est capable de comprendre comment cette “table” fonctionne. Il y a ici, quelque part, caché sans doute, une ligne de code permettant de répondre par la logique à ce défi technique. Mais non, impossible de trouver quoi que ce soit. Le jeu se moque des limites de nos connaissances, quarante ans après sa sortie.
Quelqu’un, quelque part, un programmeur anonyme, a ainsi créé un labyrinthe capable de perdre les plus brillants esprits de notre temps. Cette histoire raconte mieux que toute autre la raison d'être du labyrinthe : il est tout autant source de fascination, de frustration, d’espoir même. Tout dépend du joueur, de la joueuse. Le labyrinthe n’est jamais aussi complexe que ce que nous y emmenons avec nous, en nous.