Bloquer la progression, inciter à l’exploration ou stimuler l’imagination : la clé est un formidable outil pour un game designer, tant qu’elle n’engendre pas (trop) de frustration.
Une oie sauvage peut-elle déverrouiller une porte ? Pas à ma connaissance, sinon ça ferait une très bonne vidéo Youtube. La question a pourtant torturé l’esprit des développeurs de House House, studio australien à qui l’on doit l’excellent Untitled Goose Game. Dans ce jeu d’infiltration sorti en 2019, où vous incarnez une “oie insupportable” qui “monte des canulars, vole des chapeaux et cacarde à tue-tête”, votre quotidien peut être résumé comme suit : persécuter la plèbe en échafaudant des stratagèmes. Un concept assez peu réaliste, à priori, même si les oies sont assez sournoises pour mériter un guide WikiHow détaillant comment les appréhender en onze étapes. Et pourtant, lors du développement, la question des compétences de l’anatidé, de la manière dont elle interagit avec l’environnement, s’est posée. “Pour que l’oie évolue de manière plausible dans ce monde, nous avons établi une limite à ne pas franchir, explique l’un des développeurs du titre à VICE. Elle pouvait ramasser des objets, les déplacer ou actionner des interrupteurs, mais elle ne pouvait pas combiner des objets avec d’autres ou les utiliser de manière trop intelligente. Une oie peut ouvrir un robinet, mais ne peut pas insérer une clé dans une serrure”.
Univers clé en main
Arrêtons-nous sur le terme “plausible”. Si un jeu vidéo n’a pas la vocation d’être parfaitement réaliste, ses mécaniques doivent rester cohérentes, renvoyer à des concepts simples et ancrés dans la mémoire collective. Jusqu’à preuve du contraire, personne n’a aperçu d’oie chercher ses clés de voiture ou crocheter une serrure. La logique cartésienne impose, donc, que l’interaction soit impossible en jeu. Dans le cas contraire, cela doit être précisé en amont, par l’intermédiaire d’un PNJ ou via l’interface. “Tout jeu aspirant au succès commercial se facilitera la tâche en faisant le moins possible appel à l’imaginaire” rappelle un développeur à Kotaku. Plus c’est simple, moins on a de chance de perdre le joueur.
Dans l’industrie du jeu vidéo, le garant de la logique a un intitulé de poste qui claque sur LinkedIn : game designer. “Un terme aussi nébuleux pour les personnes extérieures à l’industrie qu’astrophysicien pour moi” s’amuse Liz England, dont c’est la profession, dans un billet de blog repris par Kotaku. Mais en quoi constitue le job ? En substance, à réfléchir aux interactions, à ce qui améliorera l’expérience du jeu mais aussi à la manière dont l’environnement peut être enrichi ou simplifié. En concertation avec d’autres, il imagine aussi des stratégies pour stimuler l’imagination du joueur, l’inciter à explorer ou le ralentir. Pour y parvenir, il dispose d’une myriade d’outils dont celui qui nous intéresse et qu’une oie, même fourbe, ne peut utiliser : la clé.
Passe-muraille de chineur
Si certains titres l’envisagent comme un collectible ou une ressource supplémentaire lors des combats comme Atelier Ryza 3 : Alchemist of the End & the Secret Key, sorti sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5 et Nintendo Switch le 24 mars, la clé a surtout une fonction triviale dans le jeu vidéo : le déverrouillage des portes, des coffres, des tiroirs. “Le concept, issu du monde réel, n’a pas besoin d’être expliqué car nous savons tous comme une clé fonctionne” écrit un développeur dans un billet publié sur Game Developer. Résultat, sans clé, la progression est artificiellement bloquée, et ce qu’importe sa forme (puzzle, code, levier). “Pour les designers, c’est génial, car ça évite que le joueur ne consomme trop rapidement le contenu qu’ils ont eu tant de mal à créer” poursuit-il. Si la modélisation d’une porte verrouillée est, semble-t-il, une vraie prise de tête pour un game designer, le joueur, lui, comprend vite qu’il est coincé et cherche une solution pour se déconfiner, ce qui le rend prévisible et ouvre d’autres possibilités de remplissage.
Car face à une porte close, le joueur adopte un comportement de chineur. Développant les mêmes réflexes que dans un showroom IKEA, il passe en revue chaque élément dans la pièce, sans doute par peur de louper un truc avant de passer à la suite, sachant qu’il sera difficile, voire impossible dans le cas d’IKEA un samedi après-midi, de rebrousser chemin. La recherche d’une clé incite, donc, à l’exploration. À prendre le temps de flâner, observer, faire une pause. Mais entre exploration et frustration, la frontière est parfois fine : l’intermède doit être suffisamment court et dynamique pour ne pas devenir une contrainte pour le joueur, dont la patience n’est pas éternelle. L’objectif n’étant pas de le frustrer profondément, sauf si c’est l’ambition première du titre, mais plutôt d’utiliser cette phase pour stimuler son imagination, faire monter la tension ou lui donner de nouvelles clés de compréhension du récit. Tout est dans le dosage, donc. Parce que dans un jeu comme dans la vie, personne n’a envie de chercher ses clés pendant des heures.
Atelier Ryza 3 : Alchemist of the End & the Secret Key débarque sur PC, PlayStation 5, PlayStation 4 et Nintendo Switch le 24 mars.
Atelier Ryza 3 Alchemist of the End & the Secret Key