La fabuleuse histoire de la lampe de Pixar
Dossier
PUBLIÉ LE 27 juin 2022

La fabuleuse histoire
de la lampe
de Pixar

Crédit : The Walt Disney Company
Etienne C.
Etienne C.
Auteur Micromania-Zing
PUBLIÉ LE 27 juin 2022

En 1986, John Lasseter charme l'industrie du cinéma avec un court-métrage de deux minutes : Luxo Jr. Et prouve, au passage, qu'un film d'animation entièrement conçu par ordinateur peut devenir un blockbuster.

La scène, filmée en caméra fixe sur fond noir, ne dure que deux minutes, mais a profondément marqué l'histoire du cinéma. A l'écran : deux lampes industrielles, branchées à une prise double et se renvoyant inlassablement une balle sur un bureau en bois. Mais après quelques passes, c'est le drame : « Luxo Jr. », la version miniature, crève ladite balle par excès d'enthousiasme. Vexée, la « bébé lampe » sort finalement du champ en sautillant pour - on le découvre plus tard - s'en dégoter une autre. Format XXL, cette fois.

Une nomination aux Oscars

Présenté en août 1986 lors de la conférence SIGGRAPH à Dallas, « Luxo Jr. » est le premier court-métrage en images de synthèse signé John Lasseter. Le « génie créatif » de Pixar, à qui l'on doit Toy Story, 1001 Pattes ou Cars. Et déjà, on retrouve l'une des recettes qui fait la renommé du studio : des objets inanimés du quotidien prenant vie et capables de transmettre des émotions. « Les gens se sont levés et ont applaudi avant la fin, se souvient le réalisateur dans les colonnes d'Entertainment Weekly. Je me suis rendu compte que les limitations techniques – caméra fixe et fond noir – aidaient les spectateurs à se focaliser sur les personnages ». Après la standing ovation vient la consécration : Luxo Jr. est nominé aux Oscars. Une première pour un film d'animation, mais une juste récompense. « John Lasseter appartient à l'histoire du cinéma, rappelle Michel Ocelot - réalisateur de Kirikou - au Monde en 2004. Avec Luxo Jr, son fameux court métrage mettant en scène une lampe de bureau, il a réussi le premier film d'animation en 3D qui ne soit pas d'un ennui mortel. Avant lui, il n'y avait personne. Et après, pas grand monde ».

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Crédit : Wikimedia Commons

À l'origine, Luxo Jr. n'est pourtant qu'un film promotionnel conçu en dehors des heures de travail et devant vanter les capacités du Pixar Image Computer : l'ordinateur maison destiné à la conception graphique. Car la société, née sur les cendres d'un département de Lucasfilm dédiée à l'infographie, n'a que quelques semaines d'existence et encore tout à prouver. « Début 1986, Steve Jobs a racheté notre division à George Lucas pour 5 millions de dollars, se souvient John Lasseter. Nous étions une quarantaine d'employés, et seuls quatre étaient impliqués dans l'animation assistée par ordinateur. Pixar était avant tout une entreprise de hardware et logiciels. Nous avions le Pixar Image Computer (…) et des logiciels comme RenderMan ». Naturellement, c'est le futur père de 1001 Pattes qui est investi de cette mission par Ed Catmull, ancien de Lucasfilm promu à la tête des opérations. Un choix logique : formé au prestigieux California Institute of the Arts - dans la même promotion que Tim Burton - et passé par Walt Disney Pictures où il a notamment pu assister à la production de l'avant-gardiste Tron, John Lasseter a toujours cru au potentiel de l'animation assistée par ordinateur. « J'ai découvert Tron et, là, j'ai eu le choc de ma vie, raconte-t-il. Tout a été bouleversé. J'ai expliqué aux gens de Disney qu'ils avaient le futur sous les yeux. Mais pour eux, l'ordinateur n'était qu'un moyen de produire de l'animation moins chère, en aucun cas un outil révolutionnaire ».

La naissance de l'esthétique Pixar

Mais ce qui démarque l'animateur du reste de la meute, outre son côté visionnaire, c'est d'avoir une manière très personnelle d'envisager son métier. Plutôt que d'apprendre à coder et maîtriser le jargon technique, il milite pour la mutualisation des compétences et la coopération entre artistes et programmeurs. « Je pensais que nos compétences étaient complémentaires, que je n'allais pas apprendre ce qu'ils savaient déjà faire, rappelle-t-il à GamesRadar. Je m'asseyais à côté d'eux et je coopérais ! C'est devenu, je pense, la seule chose qui a distingué Lucasfilm et Pixar : l'idée de créer des outils pouvant être utilisés par des cinéastes ».

Il commence par modéliser la lampe Luxo trônant sur son bureau, sans but précis. Puis c'est la révélation. « Un collègue a amené son nouveau-né au travail, explique-t-il. J'ai remarqué à quel point sa tête était minuscule par rapport à son corps et que c'était ce qui le rendait, en partie, si mignon. J'ai regardé la lampe, et je me suis demandé à quoi elle ressemblerait en version bébé ». Après quelques semaines à camper sous son bureau chaque soir pour bosser sur un projet limité techniquement, John Lasseter donne naissance à un personnage qui change profondément sa carrière. Et qui devient, in fine, la mascotte du studio apparaissant à chaque générique pour écraser le « i » de Pixar. Mieux : il accouche d'une esthétique qui démarque le studio de la concurrence. « [Luxo Jr.] représente bien le style John Lasseter, explique Brad Bird, ancien collègue de promotion et réalisateur des Indestructibles, au Guardian. Il a extrait une immense quantité d'expressions de lampes pourtant dénuées d'émotions ». Suivront plusieurs court-métrages, à chaque fois présentés lors du SIGGRAPH, dont Tin Toy qui est récompensé d'un Oscar en 1988. Puis le premier film : Toy Story, en 1995, acclamé par la critique et qui marque le début d'une nouvelle ère. « Lorsque le film est sorti, presque tous les papiers indiquaient, en une ligne, qu'il s'agissait d'animations conçues par ordinateur. Le reste de la critique portait sur l'histoire, rappelle Ed Catmull à Variety. « Les techniciens en étaient extrêmement fiers, car nous avions réussi à rendre la technologie invisible. » Et les objets vivants, aussi.