C'est un dialecte truffé de mots bizarres aux sonorités italiennes, françaises ou japonaises mais qui reste, malgré tout, compréhensible. Comment est-ce possible ? Explication de texte.
Dans le jargon, on les appelle les « conlang » (pour « constructed language », en anglais). Comprenez : des langues artificielles et fictives, comme le Klingon dans Star Trek ou le Dothraki dans Game of Thrones, imaginées par les créateurs de monde – ou des linguistes - pour insuffler du réalisme dans l'œuvre. Dans l'univers des Minions, série de spin-off produite par Universal Pictures et mettant en scène les centaines de bestioles jaunes issues de la série de films d'animation « Moi, moche et méchant », la langue locale s'appelle le « Minionese ». Et sa force c'est qu'elle est intelligible, peu importe la nationalité du spectateur. Alors qu'elle n'a, sans l'image, littéralement aucun sens.
« Une mélodie qui donne un sens à ces absurdités »
Née dans l'esprit fécond de Pierre Coffin, le réalisateur du film qui, un soir, « s’amuse à enregistrer sa voix sur les images d’un Minion qui lance une bombinette au milieu de l’assemblée (…) et se met à dire n'importe quoi à toute vitesse » relate Vanity Fair, la langue des Minions repose sur un principe simple mais redoutablement efficace : piocher des mots et des onomatopées un peu partout, puis mixer l'ensemble. « C'est un mélange de toutes les langues du monde, souligne-t-il au Guardian. L'enjeu est de trouver un rythme et une mélodie qui donnent un sens à ces absurdités ».
Résultat : dans le « Minionese », on retrouve des mots aux sonorités anglaises (« bello » pour « hello »), françaises (« tu pues des bras » pour la chanson « YMCA ») voire italiennes (« gelato » pour « glace »). Mais aussi la numération coréenne (« hana, « dul » et « set » pour « un », « deux », « trois ») ou des choses bien plus étranges. « [J'ai emprunté] le nom de famille de certains membres de mon équipe, et même le menu d'un restaurant indien, enchérit Pierre Coffin auprès de Télérama. Je n'avais qu'une contrainte : que tout sonne bien ». Pendant des semaines, le réalisateur se creuse la tête, seul, pour trouver des sonorités qui collent à l'action. Et finit par réaliser le doublage de la majorité des créatures qu'il a enfanté.
Un langage visuel plutôt que parlé
Pour justifier ce joyeux bordel linguistique - que de nombreux adeptes tentent de décrypter en recensant les termes et leurs genèses dans des dictionnaires en ligne - le réalisateur s'appuie sur « l'origin story » de ses personnages. Car dans le prequel sorti en 2015, les Minions traversent les époques pour servir les chefs les plus abjectes du globe. « Nous avons, en quelque sorte, admis que ces personnages existaient depuis toujours et furent les sous-fifres de chefs venus du monde entier, note Pierre Coffin. Et ça nous a donné le « droit » de piocher des mots ici ou là. »
Mais la véritable force du « Minionese » ne se trouve pas dans son lexique. Elle réside dans son interprétation. La gestuelle, les expressions du visage ou l'intonation enfantine des Minions donnent de la force au message et le rendent universel. « Ce qui est merveilleux dans l'animation, c'est que lorsque vous commencez à travailler avec de nombreuses nationalités, le langage commun devient un langage visuel plutôt que parlé » s'enthousiasme Chris Meledandri, fondateur d'Illumination Entertainement, société productrice du film. Mais il y a un risque : employer un terme ou une expression connotée négativement dans une partie du monde. Alors pour ne vexer personne et éviter les polémiques inutiles comme celle que connaîtra McDonald's avec ses goodies à l'effigie des Minions soufflant, selon une minorité bruyante (et sourde) d'américains, des insanités à l'oreille de leurs gosses, Mac Guff et Universal trouvent la parade. Ils missionnent des interprètes pour vérifier la signification de chaque terme. « On a rempli un tableur Excel pour recenser les expressions interdites selon les marchés » rappelle Pierre Coffin. Le résultat ? Un charabia bordélique mais finalement très organisé, où Ditto veut dire « pardon » et « pekang » signifie « attends ». « Leur façon de parler enfantine est compréhensible dans toutes les versions, précise le second réalisateur du film Kyle Balda. Je crois que cela a beaucoup contribué à leur popularité ». Il faudra attendre le second milliard de recettes au box-office pour en avoir le cœur net.