Au commencement était le jeu. Jeu de cartes, de dés, jeux de mains, jeux de vilains. Puis vint la vidéo. Sur un écran de télévision, sur une borne d’arcade, les yeux nichés au cœur d’un casque recréant une réalité toute autre. Mais le jeu vidéo peut-il exister sans la vidéo, sans l’image ?
Oui. La réponse est oui. On parle dès lors de jeux audio (une évidence), bénéficiant d’un retour sonore, tactile, mais jamais visuel. Le principe est sur le papier amusant, mais souvent, né d’une nécessité : offrir aux personnes aveugles une expérience ludique, malgré leur handicap. Ou plus simplement : faire avec les moyens du bord.
“Vous vous tenez dans un champ ouvert à l'ouest d'une maison blanche, avec une porte d'entrée barricadée. Il y a une petite boîte aux lettres ici”. Tels sont les tous premiers mots apparaissant sur l’écran, au lancement du jeu Zork. Zork est un jeu vidéo basé sur du texte, un genre également connu sous le nom de "fiction interactive". Les environnements du jeu et les actions que vous effectuez sont décrits pour vous. Zork, écrit entre 1977 et 1979 par des étudiants du MIT (Tim Anderson, Bruce Daniels, Dave Lebling, et Marc Blank), vous invite donc par la suite à taper, directement sur le clavier, vos choix, comme "ouvrir la boîte aux lettres". Réponse en retour de la machine : "L'ouverture de la petite boîte aux lettres révèle un dépliant”. Dès lors, vous pouvez le prendre, le lire, avancer… Viendront ensuite des elfes, des trolls… L’aventure.
Pourtant, Zork n’est même pas le premier de son genre. Non, cet honneur revient à Adventure (également appelé Colossal Cave Adventure ou ADVENT, car l'ordinateur sur lequel il fonctionnait ne pouvait utiliser qu'un nombre limité de lettres dans la ligne de commande). Adventure a été créé en 1976 par Will Crowther, un étudiant à Stanford. Mais Anderson, Daniels, Lebling et Blank n’étaient guère impressionnés par les commandes rudimentaires du jeu, permettant simplement d’écrire "tuer le troll", et décidèrent d’offrir avec leur création davantage de possibilités, comme "tuer le troll avec une épée".
Mais des décennies plus tard, tout a changé. Tout ? Pas exactement. Certains voient encore en le jeu audio une forme d’Art et de divertissement pleine et entière. Ainsi, en 2015 sortait A Blind Legend, jeu vidéo d'aventure audio développé et édité par Dowino, en coproduction avec Radio France. Le joueur incarne Edward Blake, un chevalier aveugle qui assiste, impuissant, à l’enlèvement de sa femme par Thork, le roi fou. L'écran du jeu n'affiche quasiment rien, si ce n’est un léger flash rouge quand le joueur est touché, ou une vaguelette blanche symbolisant les coups d’épée. C’est peu, et le jeu fonctionne sans. L’essentiel est ailleurs, comme l’écrivait Le Monde à la sortie du jeu : “L’émotion procurée par le jeu est renforcée par les effets sonores produits par le héros lui-même : ses battements de cœur, qui résonnent en toile de fond, indiquent son niveau de vie, et sa respiration, qui varie en fonction de la situation, plonge le joueur à l’intérieur du personnage”.
Surtout, les développeurs ont pu bénéficier de l'aide d'association comme la Fédération des aveugles de France. Car oui, A Blind Legend, s’il est un excellent jeu pour toutes et tous, est pensé pour les personnes aveugles et malvoyantes. Et il n’est pas le seul, loin de là. D’ailleurs, même certains des plus gros AAA sont pensés et adaptés aux personnes aveugles. The Last Of Us 2, par exemple, propose une détection de rebord, un mode à contraste élevé, un système audio de ping pour faciliter la navigation, et plus encore. Gears Tactics et Sea of Thieves offrent également une possibilité de jeu pour toutes et tous. Puissent d’autres suivre l’exemple.