Père du concept du monomythe, le chercheur américain a influencé de nombreux réalisateurs et cinéastes dont George Lucas, qui s’est basé sur son travail pour concevoir Luke Skywalker et les grandes étapes de son voyage. Focus.
George Lucas l’admet : « sans Joseph Campbell, je serais certainement toujours en train d’écrire Star Wars aujourd’hui. » À Hollywood, le père de Star Wars est le premier à avoir reconnu l’influence du travail du mythologue américain, né à New-York en 1904, sur son oeuvre. Son essai publié en 1949, baptisé « Le Héros aux mille et un visages », détaille un schéma narratif qui a été maintes fois exploité par le septième art, de Matrix à Mad Max en passant par le Roi Lion : le concept du monomythe.
Un voyage en plusieurs actes
La théorie de Campbell est la suivante : les mythes adoptent, depuis l’antiquité, le même storytelling. En analysant des ouvrages venant du monde entier, l’Américain a identifié des archétypes et thèmes récurrents lui permettant de baliser le parcours « classique » d’un héros. Un voyage en plusieurs étapes, débutant par « l’appel à l’aventure » et s’achevant par « le retour dans le monde ordinaire ». Dans son ouvrage, il le résume ainsi : « Un héros s'aventure hors du monde de la vie habituelle et pénètre dans un lieu de merveilles surnaturelles ; il y affronte des forces fabuleuses et remporte une victoire décisive ; le héros revient de cette aventure mystérieuse doté du pouvoir de dispenser des bienfaits à l'homme. » Difficile de ne pas faire la parrallèle avec Luke Skywalker, passé du statut de simple fermier coincé sur Tatooine à celui de sauveur de l’humanité.
Un mythe futuriste et mystérieux
C’est en 1975 que George Lucas - qui s’est intéressé à la mythologie et l’anthropologie pendant ses études - découvre l’essai de Joseph Campbell. Une révélation. Déjà plongé dans l’écriture du script de Star Wars, il découvre qu’il a repris, en partie, la structure détaillée par le chercheur. « Au moment où j’écrivais la troisième ébauche, j'ai lu Le Héros aux mille et un visages, et j'ai réalisé que je suivais ces règles inconsciemment. Je me suis dit que j’allais faire en sorte de l’adapter à ce schéma classique. » explique-t-il. Avec Star Wars, l’idée de George Lucas est de créer une nouvelle forme de mythe : une histoire qui résonne en chacun de nous et traverse les générations. Un manque, selon lui, dans la société du XXe siècle : « les westerns avaient ce rôle, mais il n'y en a plus. » explique-t-il en 1997. « Je voulais trouver une nouvelle formule. Alors j'ai regardé autour de moi et essayé de comprendre d'où venaient les mythes : des frontières de la société, de l'extérieur, des lieux mystérieux (...) Et j'ai pensé à l'espace. Parce qu'à l'époque, l'espace était une grande source de mystère. »
Le réalisateur imagine donc le personnage de Luke Skywalker (qu’il a baptisé Starkiller à l’origine, avant de se rétracter afin d’éviter la comparaison avec Charles Manson, ndlr) : un orphelin aux origines troubles, élevé sur une planète désertique et qui ne prend conscience de ses pouvoirs qu’au contact d’Obi-Wan Kenobi, son guide puis de Yoda, son mentor. Un personnage simple en apparence, presque lambda, qui finira par triompher du mal en affrontant la mort en face. Bref, Luke Skywalker est l’incarnation futuriste du concept de Joseph Campbell. Ni plus ni moins.
La rencontre entre le maître et l’élève
Décédé en 1987 à l’âge de 83 ans, Joseph Campbell a eu vent de son influence sur George Lucas. La première rencontre entre les deux hommes se fait par l’intermédiaire d’une amie en commun, Barbara McClintock (lauréate du prix Nobel de physiologie ou médecine en 1983, ndlr), lors d’une conférence du chercheur en 1984. Les deux hommes deviennent amis et, quelques années plus tard, Campbell est invité, avec sa femme, dans le Skywalker Ranch pour visionner la trilogie.
« Le matin, Je leur en ai montré un [Un nouvel Espoir], puis nous avons déjeuné. » rembobine George Lucas . « J’en ai montré un autre dans l'après-midi [L'Empire contre-attaque], puis nous avons dîné. Puis j'en ai montré un autre dans la soirée [Retour du Jedi]. C'était la première fois que quelqu'un, je crois, voyait les trois films d’affilé. ». Barbara McClintock, qui s’est jointe aux deux hommes pour le visionnage du dernier film, se souvient parfaitement de la réaction de Joseph Campbell : « Il n'y avait que nous et George. » raconte-t-elle. « C’était très calme, nous étions dans le noir, et Joe a dit : vous savez, je pensais que le véritable art s'était arrêté avec Picasso, Joyce et Mann. Maintenant, je sais que ce n'est pas le cas. »