Le sujet est aussi vaste que nécessaire, la question, importante, majeure même, toujours sans réponse définitive. La représentation des minorités dans le jeu vidéo, tant en coulisses qu’à l’écran, semble progresser avec son époque. Mais le chemin reste encore long.
Commençons par quelques chiffres afin de se faire une idée. Selon le Pew Research Center, think tank américain pourvoyeur de statistiques sociales, 73,9 % d'enfants blancs et 26,1 % d'enfants non blancs jouent aux jeux vidéo aux États-Unis. Cependant, d’un autre côté, toujours selon le Pew Research Center, 89 % des adolescents noirs jouent aux jeux vidéo, ainsi que 69 % des adolescents latino-américains. Des chiffres qui ne s’opposent pas, mais sont bel et bien les témoins d’une réalité : tout le monde joue aux jeux vidéo, et souvent aux mêmes. Maintenant, regardons de près la réalité des joueurs et des joueuses : personne ne pourra dire le contraire, la peau claire d’un personnage est vue comme la couleur par défaut de beaucoup de personnages de jeu, quand bien même ce paramètre peut être parfois modifié par la suite.
Ross Orlando est un gamer, mais également diplômé en sociologie, et spécialiste de la diaspora africaine. C’est donc tout naturellement qu’il décida de mêler ses deux passions, et en 2014, de révéler les résultats de son étude menée sur les jeux vidéo les plus vendus entre 2007 et 2012 : couleur de peau, sexe, âge, niveau de violence ou de passivité… Les personnages sont scrutés, mis dans des petites cases, deviennent des chiffres, pour finalement laisser apparaître quelques bien tristes résultats.
Les chiffres ne mentent pas
Sur les 61 protagonistes évalués au fil des cinquante titres (parmi lesquels Xenoblade Chronicles, Journey, Guild Wars 2, Far Cry 3 ou encore The Legend of Zelda: Skyward Sword), seuls cinq sont des femmes (8 % au total), et uniquement deux sont le personnage principal. Quant à la question de la représentation des minorités : les personnages noirs et asiatiques ont chacun une représentation de 3%, les latinos à peine 1%. Et malheureusement, même en regardant de biais, une bonne nouvelle peut en cacher une mauvaise. Dans une étude parue en 2001, sur 1716 personnages de jeu vidéo analysés, tous les personnages latinos sont dans des jeux de sport, principalement du baseball, et 83 % des personnages africains-américains masculins sont… des sportifs. La suite logique de la grande histoire du support vidéoludique : le premier jeu vidéo mettant en vedette une personne noire était Heavyweight Champ, un jeu de combat d'arcade publié par SEGA en 1976, puis en 1987 et réédité au début des années 90.
Pourquoi ? La réponse, comme souvent, se trouve à l’origine du problème, et encore une fois, dans les chiffres. Seulement 4% des concepteurs de jeux au Royaume-Uni sont noirs ou asiatiques, un chiffre bien en deçà de la moyenne nationale de 10 % dans tous les autres secteurs. Selon une enquête de l'Independent Game Developers Association (IGDA), les personnes qui s'identifient comme étant blanches, caucasiennes ou européennes représentent 68% de l'industrie du jeu vidéo. En revanche, les Afro-Américains, les peuples autochtones et les Arabes et les Asiatiques de l'Ouest ne représentent collectivement que 13% des employés de l'industrie du jeu. Pour une industrie estimée à 90 milliards de dollars aux États-Unis et à 143,5 milliards de dollars dans le monde, il serait grand temps que les choses changent.
Et c’est, petit à petit, le cas. Peut-être. Dans The Last Of Us 2, on croise des personnages d'origine asiatique comme Jesse, Lev et Yara, ou encore Isaac, un leader afro-américain joué par Jeffrey Wright. Dans Life Is Strange 2, Sean et Daniel Diaz sont discriminés parce qu'ils “n'ont pas l'air d'être d'ici”. Pour le troisième volet de la saga Assassin’s Creed, Ubisoft, qu’on a connu moins subtil, a été félicité pour avoir embauché un consultant mohawk. Du mieux, donc, ici et là. Mais le jeu vidéo, s’il revient de loin, n’en reste pas moins encore à la fois jeune et reflet de son époque. Souhaitons qu’elle change elle aussi.