Un labyrinthe, une boule jaune affamée et des fantômes : avec son concept simple, fédérateur mais révolutionnaire pour l'époque, la version de Pac-Man sortie en 1980 est restée ancrée dans la mémoire collective. Mais ce n'est pas le cas de la plupart de ses suites ou adaptations, et on vous explique pourquoi.
En bon professeur, rôle qu'il assume depuis plusieurs années au sein de la prestigieuse Université Polytechnique de Tokyo, Tōru Iwatani se devait de tirer la sonnette d'alarme. « Je doute que l'on parle encore des jeux qui sortent aujourd'hui dans dix ans, note-t-il lors d'un entretien accordé en 2011. Nous devons nous efforcer de développer des jeux dont les gens se souviendront dans une décennie, ou nous perdrons probablement notre audience ». Le développeur japonais, désormais à la retraite, connaît son sujet. En 1980, entouré de huit personnes, il a créé l'un des personnages les plus emblématiques de l'histoire du jeu vidéo. Une boule ronde, jaune, manifestement affamée et facilement reconnaissable grâce à sa bouche en forme de part de pizza : Pac-Man. Plus de quarante ans après la mise en service de la première borne « test » dans un cinéma du quartier de Shibuya à Tokyo, la bête vorace est devenue une icône de la pop culture ainsi que le héros de plus d'une trentaine de titres dérivés, dont quelques reliques surprenantes comme le party game Pac-Man Fever ou le jeu d'action Pac Pix. Mais aussi d'autres soft plus convaincants comme Pac-Man Championship Edition ou Pac-Man World, dont le remake sera commercialisé le 26 août prochain. En réalité, à l'exception de Ms. Pacman qui reste considéré, par de nombreux observateurs, comme une version plus aboutie, le monde n'a d'yeux que pour le jeu original. Tōru Iwatani osait même une comparaison flatteuse dans les colonnes du magazine TIME : « si la chanson "Yesterday" [des Beatles] est considérée comme le standard de la musique, alors je pense que Pac-Man est le standard du jeu vidéo ».
Aliens, soucoupes volantes et « boys club »
Difficile de le contredire là-dessus. Mais si Pac Man est tant ancré dans la mémoire des joueurs, c'est peut-être parce qu'à l'origine, il ne leur était pas destiné. À la fin des seventies, le tube des salles d'arcade s'appelle Space Invaders et invite à atomiser des vagues d'aliens au canon-laser. Son « challenger » américain Asteroids propose à peu près le même concept en remplaçant les extraterrestres par, comme son nom l'indique, des champs d'astéroïdes et des soucoupes volantes. Résultat : les salles de jeu sont squattés, en majorité, par des jeunes hommes. « Quand j’ai commencé à travailler sur le projet, les salles d’arcade étaient pleines de jeux violents, dans lesquels on devait tuer des aliens, raconte Tōru Iwatani au Monde. C’était des endroits malfamés. Je voulais en faire des endroits plus vivants, qui accueilleraient aussi les femmes et les couples — sans certitude d’y arriver ».
Il était une fois la révolution
Pour éveiller l'intérêt de cibles jusqu'ici exclues de ces « boys club », l'idée est la suivante : développer un jeu simpliste, intuitif, avec des personnages mignons, colorés et facilement identifiables. L'objectif : que les joueurs soient « incapables de [les] détester, même si ce sont des ennemis » précise-t-il à WIRED. C'est en mangeant une pizza, selon la légende, qu'il imagine la forme de cette petite boule jaune jamais rassasiée et qui se déplace dans un labyrinthe pour avaler un maximum de « pac-gommes ». Pour dessiner les « ennemis », ces fameux fantômes colorés, il s'inspire du manga Obake no Q-Tarō et du dessin animé Casper. Chaque antagoniste dispose de sa propre routine, ce qui fait de Pac-Man « le premier jeu grand public avec une intelligence artificielle vraiment complexe » rappelle Florent Gorges, spécialiste du jeu vidéo japonais au Monde. Blinky (le rouge) poursuit bêtement et inlassablement Pac-Man, Pinky (le rose) tente de le piéger, Inky (le bleu) mime ses mouvements et Clyde (l'orange) bouge aléatoirement. Considéré comme le premier titre « casual » et grand public, Pac-Man introduit aussi d'autres concepts devenus communs dans l'industrie, tels que la scène cinématique ou le power-up qui inverse le rapport de force entre les chasseurs et le chassé. « Le fait de pouvoir retourner la situation en chassant les fantômes est très satisfaisant, explique Tōru Iwatani à Game Informer. C'est l'une des raisons pour lesquelles Pac-Man est encore tant apprécié aujourd'hui ».
Avec plus de 290 000 bornes commercialisés dans le monde, la version originale de Pac-Man a révolutionné une industrie naissante et changé la manière dont on envisage le média. C'est sans doute pour cela que ses nombreuses suites ou adaptations n'ont pas autant marqué les esprits : la marche était trop haute. Mais qui sait ? Peut-être que Pac-Man World Re-Pac, remake de l'opus sorti en 1999 sur PlayStation et disponible le 26 août, réussira à nous faire oublier ce mythe. Au moins l'espace de quelques heures.
Pac-Man World Re-Pac dans la boutique Micromania