Pokémon a 24 ans désormais. Avec une telle longévité, ses premiers fans enfants sont désormais des adultes, et ne peuvent plus se contenter d’une simple histoire naïve. Et si incarner un Pokémon pouvait changer la donne ?
C’est en 1996 que sortait le premier jeu Pokémon sur Game Boy, les versions Verte et Rouge, au Japon. Les joueurs européens ont dû attendre deux ans de plus pour y goûter avec les versions Rouge et Bleu, la Verte restant exclusive aux consommateurs nippons. 24 ans de Pokémon donc. La plupart des joueurs qui l’ont connu enfants sont aujourd’hui des adultes, mais continuent d’être attirés par l’univers de leur prime jeunesse. Par nostalgie, parfois, mais aussi parce qu’ils restent d’excellents jeux.
Reste cependant une plainte que l’on entend à chaque nouvel épisode : l’histoire n’est pas assez définie, pas assez construite, pas assez sombre. Le chérubin d’hier est le trentenaire d’aujourd’hui : ses envies sont différentes. Et il est souvent reproché à la série de ne pas grandir avec ses joueurs, contrairement à Digimon. Dans ce cadre, l’exemple de Pokémon Donjon Mystère tend à poser une question : est-ce qu’il ne serait pas plus intéressant d’incarner un Pokémon ?
Le chasseur devient le chassé
Il s’agit avant tout de changer d’angle. Du point de vue du joueur, la “vie” d’un Pokémon démarre lorsqu’il est capturé et intégré à son équipe. Sans quoi, il fait quelques brèves apparitions en tant que Pokémon sauvage et est simplement chassé. La série Donjon Mystère a gagné le respect des joueurs en renversant cette situation, faisant de vous un humain dans un corps de Pokémon. Reste que vous y êtes un humain, et que le comportement des Pokémon est extrêmement humanisé. Et si l’on incarnait une bête sauvage, une vraie ?
Toutes les versions et adaptations de Pokémon indiquent que certains types de Pokémon ou certaines races ont des comportements bien spécifiques, de leur migration à leurs sanctuaires secrets en passant par leur comportement de meute. Autant d’opportunité d’offrir des histoires profondes, où il n’est plus nécessaire d’être naïf : la nature est ce qu’elle est pour tous les animaux, humanisés ou non. Le jeu vidéo permet ce genre de retournement de situation, et le fait souvent avec brio. Faire en sorte que le chasseur devienne le chassé ? Voilà qui serait marquant. Qui a déjà regardé les descriptions Pokédex de ses bêtes sait que le monde Pokémon peut être extrêmement rude.
Plus que des dieux, des Pokémon
Les créatures légendaires peuvent être vues comme de simples moyens de booster la collectionnite des joueurs. Des monstres capturables une seule fois, qui ne peuvent pas se reproduire, et qui sont souvent enfermés dans une seule version du jeu. C’est aussi une occasion pour Nintendo et The Pokémon Company d’organiser de grandes distributions à durée limitée, et ainsi vivifier la communauté des joueurs. Pourtant, il ne s’agit pas de simples bêtes : dans l’univers Pokémon, ce sont des dieux.
Arceus est apparu au centre de l’Univers, et a créé Dialga et Palkia pour gérer le temps et l’espace. Giratina naît, antagoniste d’Arceus et incarnation du mal premier. La Terre s’est formée de la lutte entre Groudon, la terre, et Kyogre, les océans, sous l’oeil de Rayquaza, le ciel. Mew est le premier Pokémon, duquel descendent toutes les créatures. Et ça, ce n’est qu’une infime partie de la cosmogonie Pokémon, qui à chaque épisode nous offre de nouveaux légendaires comme rouages de l’univers entier. Et ce pour autant d’histoires qui pourraient être développées en fresques épiques que l’on vivrait de l’intérieur.
D’observateur à acteur
Au-delà de ces considérations, l’aspect potentiellement frustrant d’un jeu Pokémon est que l’on est rarement l’acteur d’événements majeurs du monde… mais un simple observateur. Bien sûr, on contre des team Rocket et des projets démentiels qui menacent l’équilibre du monde, mais il nous est souvent narré des événements plus importants encore auxquels on ne participe pas.
Pokémon Épée et Bouclier sont des bons exemples. Mettre fin au potentiel retour d’Ethernatos, c’est bien. Mais n’aurait-il pas été tout aussi voire plus intéressant d’incarner Zacian ou Zamazenta à l’époque de leur première lutte contre Ethernatos, et de coopérer pour le repousser ? Ne peut-on pas créer un titre action/aventure sur cette base ? Chaque jeu Pokémon fonde un nouveau continent avec ses propres mythes et légendes qui pourraient être narrées du point de vue des Pokémon. Il y a parfois même des aspirations philosophiques intéressantes dans ce que cherche à conter la licence, à l’image de Pokémon Noir et Blanc qui questionnaient le rapport entre l’Homme et les Pokémon. La réalité (Reshiram) face à l’idéal (Zekrom), voilà qui n’est pas sans rappeler quelques notions de bouddhisme.
Un univers étendu, agrandi et raffiné sur 24 ans a forcément énormément de choses à offrir. Plus que tout, on espère donc qu’au cours des 24 prochaines années, The Pokémon Company osera aller plus loin encore pour nous offrir des scénarios plus originaux… et peut-être plus adultes, aussi. Et s’il faut passer par les yeux d’un Pokémon pour cela, ce sera avec grand plaisir.