Scènes grotesques, parfois approximatives et souvent clichées : le cinéma et la télévision n'ont, sauf rares exceptions, pas vraiment rendu hommage à la « hacking culture ». L'industrie du jeu vidéo réussit-elle là où Hollywood a échoué ? Tour d'horizon avant la sortie de Watch Dogs : Legion.
Sur Youtube, la scène a été astucieusement baptisée « 2 IDIOTS 1 KEYBOARD », en référence à cette vidéo qu'on aimerait rayer de notre mémoire. Extraite de l'épisode « The Bone Yard » de la série NCIS, cette séquence transpirant la gêne symbolise, à quelque chose près, tout ce qu'il ne faut pas faire. « C'est la représentation la plus absurde et la plus incorrecte de l'utilisation d'un ordinateur, sans parler de piratage, que j'ai jamais vue », s'amuse Kor Adana, « white hat » ayant participé à l'écriture de la série primée Mr. Robot. Deux agents tapent furieusement sur un clavier en même temps afin de combattre un pirate informatique qui est en train de prendre le contrôle du système - tout en faisant clignoter des bribes de graphiques et de codes sur l'écran. Avant que l'agent spécial Gibbs, héros de notre enfance - mais visiblement pas doué avec les ordinateurs - ne sauve la mise en débranchant le poste. Technique secrète de boomer, les noobs.
Une chose est sûre : cette surenchère de poncifs et d'imprécisions a été mûrement réfléchie par les scénaristes. Le but ? Rendre le piratage plus sexy et spectaculaire aux yeux du spectateur affalé dans son fauteuil. Et c'est loin d'être le seul exemple : sauf rares exceptions, l'aspect technique (et barbant à première vue) du hacking est souvent représenté de manière caricaturale par la télévision et le cinéma. « Cette tendance s'explique facilement, juge Kor Adana. La plupart des scénaristes, réalisateurs et producteurs pensent qu'il est impossible de représenter le piratage à l'écran tout en le rendant divertissant. ». Mr. Robot étant le parfait contre-exemple : haletante, intelligente et bien écrite, la série a été régulièrement encensée (parfois par les hackers eux-mêmes) pour son réalisme.
Le constat est-il aussi affligeant dans l'industrie du jeu vidéo ? Heureusement non. C'est ce qu'on tente de vous démontrer avant la sortie de Watch Dogs : Legion sur PC, PS4 et Xbox One le 29 octobre prochain, en vous présentant trois titres qui jouent intelligemment avec les codes de cette sous-culture née dans les années 1960.
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Watch Dogs 2 : le politique
Si on peut aisément lui reprocher quelques stéréotypes hollywoodiens et des incohérences entre le propos du récit et les mécaniques du jeu, Watch Dogs 2 est l’œuvre la plus divertissante mettant en scène des hackeurs. Surtout, le titre a le mérite d'insister sur la dimension politique du piratage. « A l’origine de la culture informatique, dans les années 1960, on appelait hacker une personne capable de réaliser un hack, c’est-à-dire une prouesse informatique, explique le sociologue Thierry Bardini. Cependant, le sens du mot hacker a progressivement évolué pour signifier maintenant un hors-la-loi qui se sert de ses compétences informatiques pour s’en prendre à l’ordre établi ». C'est le cas ici : dans Watch Dogs 2, vous incarnez Marcus Holloway, petit génie de l'informatique appartenant au groupe « d'hacktivistes » DedSec (et clairement inspiré d'Anonymous). Leur objectif ? S’attaquer à Blume, une multinationale contrôlant la majeure partie des engins technologiques et collectant allègrement les données personnelles des habitants de San Francisco. Même si Ubisoft a toujours affirmé que ses jeux n'étaient pas politiques mais visaient à faire « réfléchir aux différentes possibilités qui peuvent exister », difficile de ne pas faire le parallèle avec notre société.
Pour défendre leurs libertés individuelles, Marcus et ses « partners in crime » disposent d'une palette de compétences leur permettant de prendre le contrôle de n'importe quel objet connecté, des feux de signalisations aux caméras de surveillance. Et si la situation l'exige : rentrer dans le tas comme dans un GTA-like classique. Sorti en novembre 2016 et gommant la plupart des défauts de son prédécesseur, Watch Dogs 2 reste la référence du genre. En attendant la suite ?
Uplink : le pionnier
Avec son interface épurée et son niveau de difficulté évoluant graduellement au fil des missions, Uplink s'est, par la force du bouche-à-oreille, imposé comme un titre culte. Dans ce jeu datant de 2001, vous incarnez un hacker bossant pour une société mystérieuse qui s'adonne à des pratiques pas très légales (ni morales). Blanchiment d'argent, sabotage d'entreprises, destruction de preuves ou vol de données rythment votre quotidien d'employé prêt à vendre son âme pour son enrichissement personnel.
Seul regret : Uplink se veut principalement divertissant, au risque de sombrer dans le cliché. Le titre développé par Introversion Software est truffé de références à des films (pas forcément mauvais, tels que WarGames) ayant servi de base à l'écriture du scénario. « Uplink se base sur la version hollywoodienne du hacking, explique l'un des créateurs à GameSpot. C'est plus amusant et mieux fichu que la réalité. La plupart des idées viennent de livres de sciences fictions et de films ». Malgré ses faiblesses, Uplink a le mérite d'avoir posé les bases pour la suite. Et d'être la source d'inspiration principale du chef d’œuvre qui suit.
Hacknet : le concret
« J'abordais la sortie d'Hacknet en étant préparé à la possibilité qu'il ne se vende pas ». Le 15 août 2014, Matt Trobbiani publie son jeu sur la plate-forme Steam à 3h30 du matin, puis file se coucher. Pour s'épargner une nuit de correction de bugs ou pire, constater par-lui même que le jeu fait un flop. Échec annoncé ou fausse modestie ? 4 mois plus tard, le jeu s'était déjà vendu à plus de 100 000 exemplaires. Un succès commercial qui s'explique par la qualité du produit fini, développé en solo pendant plus de trois ans. Hacknet reprend l'esthétique sommaire d'Uplink (le jeu se présente sous la forme d'un terminal classique où vous pouvez naviguer et taper des lignes des commandes, ndlr) tout en lui apportant une dimension réaliste qui manquait cruellement à son aîné. Selon Trobbiani, c'est d'ailleurs ce détail qui a fait toute la différence : « Les techniques de piratage proposées dans Hacknet existent. Je l’ai voulu plus réaliste que la plupart des autres jeux. J’ai mis beaucoup d’efforts pour que les possibilités soient réalistes, et rationaliser les actions pour garder le plaisir et l’accessibilité. »
Côté scénario, c'est classique mais efficace : vous enquêtez sur la disparition d'un dénommé Bit, père d'un logiciel de hack puissant. Avant d'y passer, ce pirate un peu parano s'est débrouillé pour que son programme envoie automatiquement - après son éventuel décès - un mail d'instruction invitant les utilisateurs à mener leur propre enquête. De là, votre mission consiste à démêler le vrai du faux et éclaircir les zones d'ombres en alternant entre résolutions d'énigmes et lignes de commandes pour contourner des pare-feux, télécharger des fichiers protégés ou effacer vos traces. Et croyez-nous sur parole, c'est amplement suffisant pour mobiliser vos neurones pendant quelques heures.