Si vous avez connu l’époque dorée de la première PlayStation, il y a de fortes chances pour que Final Fantasy VII fasse partie de vos jeux cultes. Cette expérience exceptionnelle n’était pourtant pas destinée à la console de Sony à l’origine…
Comment évoquer la saga Final Fantasy sans avoir une petite pensée pour Nintendo ? L’œuvre de Square doit en effet une bonne partie de son succès aux premières consoles de la firme de Kyoto, puisque les six premiers opus de la licence sont sortis sur NES et Super NES. Mais c’était sans compter sur l’arrivée de Sony sur le marché. Avec ses capacités jugées plus intéressantes, la PlayStation est parvenue à détourner l’entreprise Square de son allié historique. Une histoire folle qu’on vous raconte ici.
L’ère de la 3D
1994, Tokyo. Alors que Final Fantasy VI vient de paraître sur Super NES, l’équipe de Hironobu Sakaguchi, producteur de la série, se tourne déjà vers l’avenir. L’accueil critique est excellent et les ventes culminent à 2,55 millions au Japon. Il faut donc battre le fer tant qu’il est chaud. Un septième épisode est mis en chantier avec les outils habituels, à savoir le hardware signé Nintendo. Oui, mais voilà, à cette même époque, un concurrent de taille s’apprête à bousculer l’ordre établi de l’industrie vidéoludique. Sony compte sortir sa PlayStation à la fin de l’année, une machine qui mise tout sur la 3D, la technologie de l’avenir. Virtua Fighter a montré la voie dès 1993 dans les salles d’arcade, les joueurs sont lassés des sprites plats comme un lac et veulent désormais des expériences en trois dimensions. Evidemment attiré par cette évolution de l’industrie, Square commence à se poser quelques questions. « Ne serions-nous pas dépassés avec un Final Fantasy VII en 2D ? ».
Après une longue réflexion, Sakaguchi et les siens décident de tenter l’aventure de la 3D et planchent sur une première démo technique baptisée Final Fantasy VI : The Interactive CG Game. Nous y retrouvons les personnages du sixième opus dans un combat face à un gigantesque golem, le tout en trois dimensions, bien entendu. Cette première ébauche est acclamée par la presse spécialisée et les éminents acteurs de l’industrie. L’équipe de Square peut souffler, la 3D semble être la bonne direction. Toutes les étoiles sont désormais alignées et le projet démarre pour de bon dans les locaux de la firme. Un story-board complet est réalisé, tandis qu’un script très détaillé voit le jour au tout début du développement. Un procédé beaucoup plus minutieux que par le passé, mais indispensable pour ne pas se perdre dans les grandes ambitions de l’équipe.
Nintendo ou Sony, telle est la question
Par habitude, mais également par loyauté, Square commence ses travaux sur le kit de développement de la Nintendo 64. Cette console également pensée pour la 3D présente toutefois un énorme défaut : son support de stockage est la cartouche. Afin de limiter les temps de chargement, mais également le piratage, les papas de Mario ont décidé d’ignorer le CD, format pourtant privilégié par tous leurs concurrents. Un coup dur pour Sakaguchi, qui réalise rapidement que la capacité de stockage limitée de ces écrins de plastique (jusqu’à 64Mo, contre 660Mo pour un CD PlayStation) risque de poser problème. Il a d’ores et déjà imaginé de somptueuses cinématiques en images de synthèse et ne compte pas faire une croix dessus. L’œuvre grandiose qu’il a en tête ne doit pas être freinée par des considérations techniques.
Pendant ce temps, la PlayStation de Sony commence à prendre une sacrée place. Avec des best-sellers tels que Battle Arena Toshinden, Ridge Racer ou encore WipEout, la petite machine grise entre dans près de 10 millions de foyers en seulement deux ans. Pour finir d’enfoncer le clou, les développeurs de Square font face à un os. Les 2 000 polygones nécessaires pour animer un modèle de Behemoth sont de trop et la Nintendo 64 est déjà à genoux durant les essais préliminaires. Des cartouches à la capacité trop faible, une machine pas assez puissante ? Ne serait-il pas temps d’abandonner Nintendo et de rejoindre le train PlayStation ? Square avait pourtant tenté d’alerter Big N à plusieurs reprises, le support CD-ROM est beaucoup plus avantageux… Nintendo a fait son choix, Square aussi. Après de longues phases de test et quelques discussions très cordiales avec Sony, Sakaguchi annonce finalement que Final Fantasy VII sortira bel et bien sur PlayStation dans le courant de l’année 1997.
Tout un symbole
Difficile de réaliser pleinement l’importance de cet acte aujourd’hui, il faut donc replacer les choses dans leur contexte. Entre 1983 et 1994, Nintendo est considéré comme le roi du jeu vidéo partout dans le monde. Si Sega parvient à grappiller quelques précieuses parts de marché en dehors du Japon, la compagnie basée à Kyoto conserve une image de colosse inébranlable. En parallèle, une bonne partie des journalistes parlent de l’arrivée de Sony sur le marché du jeu vidéo comme d’un échec annoncé. Alors, lorsque Square dévoile que ses productions, dont le très attendu Final Fantasy VII, seront désormais disponibles sur PlayStation, c’est un petit bouleversement. Le nouveau-venu est en passe de prendre les devants dès son entrée dans la bataille.
Ce qui devait arriver arriva. Le 31 janvier 1997, les aventures de Cloud font leurs débuts sur l’Archipel nippon et reçoivent des critiques élogieuses de la part de la presse et des joueurs. Avec ses fabuleuses cinématiques, le nouveau bébé de Sakaguchi impose de nouveaux standards dans le domaine du J-RPG et entre dans la légende avec 9,8 millions de copies vendues. De son côté, Nintendo aura payé très cher sa décision de continuer avec le support cartouche, puisque de nombreux éditeurs empruntent le même chemin que Square et se détournent de la 64. Des choix hardware critiquables qui ont permis à la PlayStation de s’emparer du trône et de chambouler l’industrie vidéoludique à jamais…