Le director’s cut, au cinéma, est, pour le dire simplement, la version imaginée par le réalisateur, en opposition à celle ayant subi des coupes de la part des producteurs ou de la censure. Surtout, un director’s cut est supposé représenter la création ultime, le fantasme absolu, accessible à toutes et à tous. Mais dans le domaine du jeu vidéo, qu’en est-il ?
Blade Runner: The Final Cut, The Lord of the Rings Extended Editions, Once Upon a Time in America: The Extended Director's Cut, Aliens: The Director's Cut… Qu’il s’agisse des versions idéales selon leur créateur, ou plus simplement d’une version longue destinée à rassasier les fans (sans pour autant que la version première ne soit totalement reniée), le cinéma est riche de multiples versions, rattrapages, corrections, alimentant les débats (quelle version est donc la meilleure ?), attisant les curiosités (pourquoi telle scène fut-elle coupée ?) ou créant de la frustration (la première version n’était-elle pas pourtant la meilleure ?). Concernant la musique, le director's cut, sous une autre forme, existe, à l’image de l’album Let It Be Naked des Beatles, version épurée, telle que souhaitée par Paul McCartney. Mais qu’en est-il du jeu vidéo ?
Sont annoncés au même moment les director’s cut de Death Stranding et de Ghost Of Tsushima. En réalité, et tout particulièrement concernant la dernière création d’Hideo Kojima, peu réputé pour sa faculté à accepter les compromis, il s’agit moins ici, voire quasiment pas de la version idéalisée par son concepteur, mais rien de plus qu’une déclinaison vaguement enrichie. Death Stranding Director’s Cut proposera de nouvelles missions scénarisées, de nouveaux affrontements. Bref, une version différente, sans que Kojima n’ait jamais renié la première. Ghost Of Tsushima 2.0 offrira de vivre une nouvelle aventure grâce à l'arrivée d'une nouvelle île, et proposera aussi de nouvelles fonctionnalités pour le mode photo, ainsi que la synchronisation labiale japonaise parfaite, tout du moins si l’on joue sur Playstation 5.. Bref, rien de bien bouleversant.
Selon le site spécialisé Game Rant, qui voit ici l’annonce d’une potentielle tendance, “les développeurs reçoivent beaucoup de commentaires de la communauté après la sortie, qui peuvent être incorporés dans un Director's Cut pour changer l'expérience de manière à ce que les fans l'apprécient davantage”. Dès lors, Death Stranding et Ghost Of Tsushima ne semblent pas être des priorités, tout du moins au sens artistique du terme. Bien des créations mériteraient de véritables Director’s Cut, pour des raisons variées. Après la sortie de Tony Hawk's Pro Skater 4 en 2002, Activision a mis de côté la licence, avant de la faire renaître en 2015. Pourquoi ? Comme l'accord entre Tony Hawk et Activision devait expirer d'ici la fin de 2015, le jeu a été développé à la hâte en quelques mois et est sorti inachevé. Une question d’argent donc, et de temps. Parfois, seul le portefeuille est en cause. Richard Garriott, créateur d’Akalabeth, l'un des premiers jeux de rôle sur ordinateur. Garriott a ensuite créé la série Ultima, ainsi qu'Ultima Online, le premier MMO au monde. Les pressions financières ont forcé Garriott à s'associer à Electronic Arts, ce qui a conduit à la disparition de la série. Mais en 2014, il s'est tourné vers Kickstarter pour aider à financer Shroud of the Avatar, un successeur spirituel d'Ultima. Étant donné qu'EA détient toujours les droits d'Ultima, Garriott a été contraint de créer une toute nouvelle histoire pour son jeu, ne pouvant dès lors pleinement assouvir ses envies. Cas un peu à part : Peter Molyneux. Alors qu'il faisait la promotion de Fable 2, il a totalement renié le premier volet, en affirmant en avoir honte. Puis, lorsque la suite n’a pas fonctionné, il a affirmé qu’elle n’était qu’un tas de déchets. Enfin, concernant Fable 3 : “le joyau qui était dans mon esprit n'a jamais existé, il est toujours défectueux d'une manière ou d'une autre". Un créateur frustré parmi d’autres ? Peut-être bien, mais un créateur avant tout, maître de son univers, ici témoignant d’une envie d’y revenir. Enfin, il y a le director’s cut comme reflet de ce qu’est le jeu : une œuvre potentiellement mouvante. No Man's Sky, terriblement attendu, a terriblement déçu. Bugs, contrôles fastidieux, univers vide… Mais en 2021, No Man’s Sky en est à sa version 3.2, et chaque update améliore sans cesse l’expérience. En 2018, No Man’s Sky Next, la première mise à jour majeure, permettait enfin de comprendre ce que le studio voulait créer. Un director’s cut quotidien, ou presque donc, à l’image d’un Kanye West peaufinant un album tout en le dévoilant au public.
En fait, en matière de jeu vidéo, le terme de director’s cut ne signifie rien, si ce n’est, peut-être, un aveu de faiblesse. En 2021, afin de relancer un intérêt autour de créations pourtant populaires, tout du moins connues, et au passage, après tout pourquoi pas, nous faire passer à la caisse une deuxième fois, les spécialistes du marketing de Sony ont opté pour une imitation du cinéma, revenant ainsi des années en arrière, à l’époque où le jeu vidéo, pour exister, pour s’imposer, se devait, tout du moins auprès du grand public, de prendre des allures de long métrage ludique, tant dans l'écriture, l’image, que l’ambition. Nous ne pensions pas en être encore là. Nous pensions que le jeu vidéo existait par lui-même, pour ce qu’il a toujours été. Nous avions peut-être tort.
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