Extrêmement populaire dans les salles d’arcade au début des années 1990, Street Fighter II est aussi devenu un phénomène mondial grâce à son portage sur SNES en 1992. Retour sur un mariage de raison (et lucratif) entre Nintendo et Capcom.
Yoshinori Ono, producteur exécutif de Street Fighter V (dont la version Champion Edition débarque le 14 février 2020, ndlr) rappelle régulièrement cette anecdote de jeunesse. L’époque où Capcom était, selon ses dires, responsable de sa mauvaise relation avec son banquier. « Quand le premier Street Fighter est sorti, j’étais encore étudiant » raconte-t-il aux Inrocks. « Je gaspillais tout mon argent dans des machines d’arcade. Je m’étais littéralement mis à détester Capcom car ils m’avaient tout pris (rires). L’argent que j’avais durement gagné dans des petits boulots finissait à chaque fois dans les poches de Capcom. Je les maudissais. Je n'aurais jamais imaginé que quelques années plus tard, je deviendrais la personne que les joueurs aiment insulter aujourd’hui. »
Que Yoshinori Ono se rassure, il n’est pas seul. Au début des nineties, Street Fighter II a participé, selon de nombreux observateurs, a relancé l’intérêt du grand public pour les salles d’arcade qui sont à l’époque victimes d’une baisse d’affluence. Et ça n’a rien d’un hasard car le jeu est conçu, au départ, pour plaire aux gérants de salles d’arcade ainsi qu’aux habitués qui les ont délaissées. Comment ? En repensant profondément la manière dont on consomme dans ces temples du jeu.
Le boss final des salles d’arcade
Dans un (excellent) papier de Polygon retraçant l’histoire de Street Fighter II, Yoshiki Okamoto prend l’exemple de Space Invaders pour expliquer la démarche de Capcom. À l’époque, Space Invaders est extrêmement populaire au Japon mais coûte cher (100 yens par partie, ndlr). Pour les développeurs et les gérants de salles d’arcade, c’est du pain béni. Un peu moins pour le consommateur qui, se sentant légèrement escroqué, préfère investir dans une console de salon.
Pour inverser la tendance, l’idée d’Okamoto est simple : inciter les clients à partager les frais et jouer plus longtemps en développant un titre jouable à deux. Jusqu’ici, rien de révolutionnaire : plusieurs jeux, comme Final Fight (autre jeu signé Capcom, ndlr) ou Double Dragon, proposent un mode multijoueur axé sur la coopération. Le génie de Capcom est d’avoir réveillé l’esprit de compétiteur qui sommeille en chacun de nous en proposant des combats en un-contre-un d’une profondeur extrême (chaque joueur disposait de six boutons pour combattre, ndlr) sur Street Fighter II, redonnant une dimension sociale à la salle d’arcade. « L’instinct de lutte des êtres humains est étonnant, n'est-ce pas ? » s’amuse Akira Nishitani, game director de Street Fighter II, dans une interview publiée en 1991. « J’ai l'impression que cet instinct a été libéré avec la sortie de Street Fighter II. Même si ce n'est qu'un jeu, j'ai vu des gens grincer des dents après avoir perdu un match. Il y avait même des employés de Capcom qui se tortillaient sur le sol après avoir perdu plusieurs fois de suite. »
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Avec son roster de combattants, sa dimension stratégique et compétitive, sa profondeur de gameplay et sa durée de vie infinie, Street Fighter II a posé les bases du genre et relancé l’intérêt pour les salles d’arcades, pas de doute. Mais le titre est, aussi, devenu un phénomène culturel traversant les âges grâce au portage sur Super Nintendo en 1992. Parce qu’en proposant un concept si novateur pour l’époque, il était logique - et inévitable - que le jeu s’invite dans les salons. Selon les chiffres publiés par Capcom en septembre 2019, la version SNES de Street Fighter II reste le cinquième titre le plus vendu de l’histoire de la firme, avec 6,3 millions d’unités écoulées. En ajoutant les versions Turbo et Super, Street Fighter II dépasse les 12 millions de ventes, rien que sur la console de Nintendo. Une preuve de l’engouement qu’il a suscité et de l’impact qu’il a eu sur l’industrie.
Un mariage de raison
Depuis les années 1980, Capcom entretient une relation privilégiée avec Nintendo, qui a publié bon nombre de ses jeux. Pour la firme, il est naturel d’adapter son nouveau titre phare sur la SNES, console dévoilée durant l’été 1991 (1990 au Japon, ndlr) et qui doit faire face à la concurrence de Sega aux États-Unis. « La SNES s'est bien vendue au début, mais aux États-Unis, la Genesis (Mega Drive, ndlr) avait vraiment trouvé sa place avec Sonic » raconte Scott Smith, product manager chez Capcom USA. « Quand nous avons sorti Street Fighter II, tout a changé. C'était : ‘Si vous voulez Street Fighter, vous devez avoir la Super Nintendo’. »
À l’époque, Nintendo impose un rythme de production effréné à son partenaire, malgré la difficulté d’adapter un jeu d'une telle profondeur sur une console aux capacités limitées. Parce que la firme a conscience de tenir sa prochaine « killer app », tout simplement. « Le travail se poursuivait toute la nuit, et il arrivait souvent qu’on travaille jusqu'à quatre ou cinq heures du matin » raconte Tatsuya Minami à Polygon. « Si j’essayais de refaire ça aujourd’hui, je m'évanouirais mais à ce moment-là, une fois qu’on avait terminé, on sortait prendre quelques bières, puis on allait se coucher et on revenait le matin. » Street Fighter II est commercialisé en juillet 1992 en Amérique du Nord et rencontre un immense succès. Il sera d’ailleurs vendu en pack avec la console dont il fait indirectement la promotion.
Un jeu intimement lié à l’histoire de Nintendo
Quelques mois plus tard, le titre est porté sur Mega Drive (ce qui déplaît logiquement aux cadres de Nintendo, ndlr) mais ne suscitera pas le même engouement. Pour beaucoup de joueurs, Street Fighter II reste l’un des produits phares de la SNES et intimement lié à l’histoire de Nintendo. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en 2018, Yoshinori Ono (qui n’a probablement plus de problème avec son banquier, ndlr) justifiait la commercialisation d’une version Switch de Street Fighter 30th Anniversary Collection, compilation d’une douzaine de jeux iconiques de la licence. « Rappelons-aussi que ce succès [de la licence] est dû à la console Super NES sur lequel Street Fighter II avait été portée. » explique-t-il. « Il nous paraissait donc naturel de revenir sur une console Nintendo. Avec cette version Switch, on souhaitait réunir les papas qui y jouaient il y a 25 ans et leurs enfants qui découvrent les joies du jeu vidéo. »