La culture geek a crevé l’écran sans crier gare à Hollywood. Mais les nerds eux-mêmes ? Il a fallu qu’un réalisateur fauché fasse un énorme pari pour qu’ils soient entendus.
Lorsque l’on regarde à quel point Marvel a pris le contrôle du grand écran de nos jours, on est tenté de penser que c’est la première fois que la pop culture reçoit autant d’amour de la part des producteurs de cinéma. Cependant, c’est loin d’être le cas. Après le succès de Star Wars au cinéma, qui est sorti en 1977 tout de même, la culture geek a le vent en poupe et va créer tous les nerds qui ont pris le contrôle de la réalisation aujourd’hui. Les projets se sont succédé très rapidement à la fin des années 70 et dans les années 80, voire 90. Alien voit le jour en 1979. Le Dune de David Lynch est sorti en 1984. Et grâce à Tim Burton, Batman a crevé l’écran dès 1989 !
David contre Goliath
Mais n’allez pas croire pour autant que les nerds eux-mêmes étaient devenus tout à coup acceptés au sein d’Hollywood. Bien au contraire : de nombreux projets ont aussi complètement foirés sur cette période. Et généralement, l’explication était très simple : les producteurs n’ont tout simplement pas compris ce qui faisait la pop culture. Ils ont simplement compris qu’elle réussissait à poser des fesses dans les salles obscures. La représentation du nerd moyen restait le petit gars à lunette étrange dans un coin de la classe, qui n’avait aucune vie sociale. Et pour Kevin Smith, ce n’était pas le reflet de sa réalité. Il fallait que tout cela change.
Grand fan de comics et de cinéma devant l’éternel, le gamin turbulent n’arrive cependant pas à suivre un cursus bien précis. S’il a fréquenté la Vancouver Film School et The New School à New York, il n’est jamais reparti sans le moindre diplôme. Il s’est par contre fait beaucoup d’amis qui partageaient avec lui son ressenti : leurs expériences n’étaient pas représentées au cinéma. C’est sur cette pensée qu’il a commencé à écrire un petit script, Clerks, mettant en scène un caissier banal dans une petite épicerie du New Jersey.
Le film, calqué sur sa vie et ses expériences, n’est cependant pas exactement un projet qui parlerait aux producteurs. Kevin Smith fait donc un pari hors norme : il revend l’intégralité de sa collection de comics, et commence à éclater les plafonds de multiples cartes de crédit pour se payer le matériel nécessaire. Lui-même caissier d’une épicerie, il s’arrange avec le patron pour tourner son film la nuit et travailler le jour. La plupart des acteurs sont ses plus proches amis, quand d’autres sont des amis d’amis d’une troupe locale. Kevin Smith a une seule idée en tête : tenter le tout pour tout, et si tout se foire, il aura au moins une preuve qu’il a essayé de poursuivre ses rêves. Bien qu’il s’imaginait à l’origine jouer le rôle principal, il a admis de lui-même ne pas avoir le talent nécessaire et s’est contenté de jouer Silent Bob, un personnage muet au côté de Jay, joué par son plus proche ami Jason Mewes.
Romances compliquées, fumeurs de joints, clients difficiles, et débats poussés sur l’orientation politique des contractuels ayant créés l’Etoile de la Mort : telle est la recette de Clerks. Une vie ultra normale, ultra banale, mais qui n’est pas sans rebondissements malgré tout. Le succès est presque immédiat dans les festivals indépendants : Clerks remporte le prix du public à Deauville et celui du meilleur réalisateur à Sundance. Les nerds se voient pour la première fois affichés à l’écran tels qu’ils sont, et n’ont pas tel que Hollywood les voyait être. Cette claque a permis à une nouvelle génération de grandir avec le même rêve en ayant la preuve qu’ils pourraient rencontrer le succès, au même titre que Kevin Smith (qui a pu racheter immédiatement sa collection de comics après la sortie de son film). Et grâce à cela, nous arrivons aujourd’hui à avoir des arcs complets de comics au cinéma.