Pourquoi faut-il absolument proposer des graphismes en 4K d’une finesse et d’un réalisme désarmant pour être un beau jeu ? Et surtout, pourquoi se reposer sur ce type de raisonnement pour définir ce qu’est un BON jeu ? Après tout, le gameplay, pierre angulaire du jeu vidéo, demeure essentiel pour distinguer les bonnes des excellentes productions. De nombreux développeurs, surtout du côté de la scène indépendante, préfèrent ainsi miser sur une ambiance et des concepts de jouabilité plutôt que sur un photoréalisme à toute épreuve, pour de nombreux paris gagnants. Blasphemous 2, à paraître en cette fin d’été, pourrait bien être le dernier d’une longue lignée de titres minimalistes de très grande qualité…
Écrit par : Antistar.
Il n’est plus nécessairement obligatoire de s’intéresser à la scène indépendante, de plus en plus populaire au fil des ans, pour avoir entendu parler des noms les plus célèbres du milieu. Tous les ans, des créations plus mineures, bien loin des superproductions dites “triple A” des éditeurs principaux de l’industrie, s’imposent parmi les jeux les plus marquants durant des cérémonies récompensant les meilleurs titres de l’année écoulée. Parmi elles, certains jeux proposent une esthétique plus minimaliste que d’autres, comme Undertale ou Celeste (pour ne citer qu’eux). Sorti en 2019, Blasphemous appartient à cette catégorie, et le génie de sa direction artistique, couplé à une grande maîtrise de genres de jeu plutôt complexes, en fait également une référence du genre. Sa suite est donc très attendue.
Ce n’est pas nouveau : même il y a 20 ans, les esthètes du jeu vidéo s’accordaient à dire que chercher le photoréalisme à tout prix n’était pas forcément nécessaire pour s’imposer comme un “must-have”. Avec un titre comme The Legend of Zelda: The Wind Waker, Nintendo avait tenté d’imposer un style visuel radicalement opposé aux canons de son époque : le cel-shading. Considéré comme un des plus grands jeux vidéo de sa génération, son style visuel très particulier lui a surtout permis de mieux vieillir que quasiment n’importe quel titre de son époque. Cependant, à l’aube des consoles HD, personne n’envisageait encore de miser sur le pixel art.
Dans les années 2010, l’émergence d’une scène indépendante forte, d’abord mise en avant par Microsoft sur Xbox 360 avec des Super Meat Boy ou Limbo, a mis en valeur des jeux vidéo ingénieux en termes de proposition de gameplay, souvent portés par une ambiance très originale. D’abord grâce à une bande originale généralement très inspirée et marquante, mais aussi à travers une direction artistique très audacieuse, reconnaissable entre mille. Le point commun entre (presque) tous les jeux indépendants ayant fait parler d’eux presque autant que les grosses productions des éditeurs majeurs ? Ils sont tous en deux dimensions. Certains osent même miser sur le pixel art plutôt que sur des graphismes très détaillés profitant des résolutions en haute définition.
De prime abord, ces jeux ressemblent plus à des jeux de consoles 8-bit (NES, Master System…) ou 16-bit (Super NES, Mega Drive…) bénéficiant d’un affichage 16/9 et d’une plus grande résolution permettant d’afficher plus de pixels. Nous n’allons pas forcément parler à nouveau de références connues au point d’être considérés comme faisant partie des meilleurs jeux parus l’année de leur sortie (Undertale luttant avec Uncharted 4 ou Overwatch, et Celeste étant de son côté aux prises avec God of War ou Red Dead Redemption II !). Il y a des dizaines d’autres exemples notables : d’Axiom Verge à Enter the Gungeon en passant par Hyper Light Drifter ou Shovel Knight, les exemples de jeux indépendants à l’esthétique très rétro ET ayant bénéficié d’un excellent retour sont nombreux, au point d’avoir influencé indirectement de gros éditeurs. Square Enix, conscient de la popularité de ses jeux de rôle japonais à l’ancienne, n’a ainsi pas eu peur de tenter ce retour aux sources avec des titres comme Octopath Traveler ou Triangle Strategy, pour un résultat commercial et critique plus que convaincant.
C’est dans ce contexte qu’en 2019, le studio espagnol The Game Kitchen a dévoilé Blasphemous, jeu d’action-aventure avec quelques éléments de RPG inspiré des meilleurs metroidvania comme Hollow Knight, et à l’accent très Souls-Like . Très bien reçu par la presse et par les joueurs, et porté par une équipe très à l’écoute des retours au point de recevoir d’innombrables mises à jour affinant sa jouabilité et corrigeant plein de petits bugs, Blasphemous est devenu une des références du genre et un des jeux indépendants 2D en pixel art les plus appréciés de son époque. Son esthétique, basée sur une version dark fantasy de l’inquisition espagnole, rappelle énormément les Castlevania de la grande époque, et constitue une des plus belles preuves qu’un jeu utilisant ce style graphique peut être très beau et ne jamais donner l’impression d’être visuellement limité.
Quatre ans plus tard, The Game Kitchen récidive avec Blasphemous II, suite directe reprenant toutes les bases de gameplay et la direction artistique ayant fait la force du premier volet. Le résultat est très réussi, comme en témoigne la moyenne de critiques de 87/100 pour la version PS5 du jeu (85/100 sur Switch) sur l'agrégateur Metacritic à l’heure où nous écrivons ces lignes. Une moyenne équivalente à celle d’un Pikmin 4 ou d’un Ghost Trick : Détective Fantôme sur Switch, qui en fait tout simplement un des meilleurs jeux de l’été. Franchement, pourquoi s’embêter à proposer des graphismes aussi magnifiques que ceux d’un Hogwarts Legacy ou d’un Final Fantasy XVI quand on peut autant briller en deux dimensions, et en offrant en quelque sorte de nouvelles lettres de noblesse à un pixel art de plus en plus populaire ?
Plus que jamais, le rétro est à la mode, et certains jeux vidéo en tirent admirablement parti pour offrir des expériences passionnantes… et magnifiques. Désormais incroyablement maîtrisée par les studios de développement et portée par des résolutions d’image de plus en plus élevées favorisant la créativité et le souci du détail, la 2D et le pixel art ne sont pas qu’une simple tendance. De nombreux artistes expriment à travers ce style un talent incroyable, mis au service d’expériences de gameplay riches, complexes et qui n’ont rien à envier aux titres réalistes et disposant de moyens bien plus importants. Dans ce contexte, Blasphemous 2 a tout pour être potentiellement le jeu de l’été, et non, cela n’a rien de choquant qu’un jeu en deux dimensions fait de pixels bien visibles se permette de viser ce titre honorifique.