En 2009, une première ébauche du scénario de The Last of Us est rejetée en bloc par de nombreuses collaboratrices de Naughty Dog, pour une raison évidente.
Neuf années se sont écoulées entre le premier jet et la commercialisation de The Last of Us. Un laps de temps durant lequel le pitch d'origine, imaginé par Neil Druckmann sur les bancs de la fac, a été discuté, questionné et même rejeté par ses pairs avant de devenir le chef d’œuvre qui a marqué toute une génération. « Chez Naughty Dog, nous considérons l'échec comme quelque chose de positif, admet-t-il. L'idée est d'échouer autant que possible dès le départ car tous ces échecs vous mènent à des solutions. Si nous avions conservé les idées originales, le jeu n'aurait pas été aussi bon ». Pire : le titre, unanimement considéré comme un chef d’œuvre narratif, aurait pu être jugé problématique, voire carrément misogyne. Explications.
Romero et rejet
Tout commence en 2004, lors d'un cours à l'université Carnegie Mellon. Neil Druckmann, qui s'est réorienté vers les technologies du divertissement après avoir passé plusieurs semestres à étudier la criminologie, doit pitcher un concept de jeu. Et pas à n'importe qui. Son correcteur s'appelle George A. Romero, un homme considéré par la critique comme le grand maître du film de zombies. Pour l'impressionner et peut-être obtenir la chance de développer un prototype, l'étudiant conceptualise un jeu de survie où l'on incarne un flic souffrant de problèmes cardiaques et qui protège une jeune fille dans un monde frappé par une pandémie. Le twist ? Quand les soucis de santé du personnage principal refont surface, le joueur a la possibilité de prendre le contrôle de la jeune fille pour lui venir en aide. S'inspirant des mécaniques d'Ico, du personnage de John Hartigan de Sin City (qui souffre lui aussi d’angines de poitrine) et du cadre de la Nuit des morts-vivants, le projet de Druckmann ne tape malheureusement pas dans l’œil du réalisateur. Mais les bases de The Last of Us sont posées.
Il faut attendre cinq ans avant que le projet ne prenne forme au sein d'un studio de développement. Plus précisément Naughty Dog, que Druckmann intègre en tant que développeur dès l'été 2004. En l'espace de quelques années, il gravit les échelons jusqu'à obtenir un rôle majeur dans l'écriture et le design d'Uncharted, l'un des blockbusters maison. Résultat : en 2009, après la sortie du second opus, il est propulsé aux côtés de Bruce Straley à la tête d'une équipe de développeurs dont la mission est de ressusciter une autre licence iconique du studio : Jak and Daxter. Mais la tâche est complexe et ne fédère pas en interne. « On s'est demandé si on ne le faisait pas que pour des raisons marketing, raconte-t-il en 2013. Nous sommes allés voir notre patron et lui avons demandé si nous étions obligés de le faire. Il nous a répondu 'Non, si vous voulez faire autre chose, trouvez autre chose'. »
Un scénario profondément misogyne
« L'autre chose » est baptisée Mankind et constitue la première véritable ébauche de The Last of Us. Le cadre et les bases du gameplay sont là, mais il y a un hic : seules les femmes sont infectées ou tuées par le champignon cordyceps, à l'exception d'Ellie, immunisée et protégée par Joel. L'idée, que Neil Druckmann juge profondément misogyne avec du recul, est rejetée en bloc par les développeuses du studio. « De nombreuses femmes du studio m'ont dit : ‘ Je n'aime pas cette idée, je comprends ce que tu veux faire, mais la manière dont on le perçoit c'est qu'il y a une bande de femmes qui se transforment en monstres. Et l'objectif est de leur mettre une balle dans la tête’. »
La naissance de sa fille participe également à sa prise de conscience sur la manière dont l'industrie du jeu vidéo représente la femme. Le but est désormais de créer une héroïne à laquelle elle pourra s'identifier en grandissant. « Je voulais créer l'un des protagonistes féminins non-sexualisés les plus cools de tous les temps, explique-t-il. J'avais l'impression que si on parvenait à faire ça dans The Last of Us, on avait l'opportunité de changer l'industrie. Je sais que c'est prétentieux, mais c'était mon objectif ». Prétentieux, mais plutôt réaliste.