La musique d’un jeu vidéo, pour beaucoup, c’est de l’ambiance. Mais avec Akira Yamaoka, c’est aussi l’interactivité : ces frissons qui vous parcourent le bas du dos.
Il a toujours été difficile pour un artiste de se faire un nom dans le milieu du jeu vidéo. Il faut dire que les titres sont souvent créés grâce à des équipes de centaines de personnes, souvent à travers le monde de nos jours. Depuis quelques années cependant, les éditeurs ont compris à quel point il pouvait être important d’avoir un visage qui symbolise la création auprès des joueurs, et font donc en sorte de montrer plus avant leurs créateurs. Il existe cependant une méthode très simple pour juger s'il s’agit d’une démarche marketing ou d’une véritable force créative : l’époque à laquelle ils sont mis en avant.
Shigeru Miyamoto n’est pas connu de tous pour la frime : il était si bon que tout le monde voulait le voir. Hideo Kojima n’a pas cherché à devenir une star du jeu vidéo : son originalité l’a amené à prendre les devants de la scène. Et Akira Yamaoka, le compositeur dont on vous parle aujourd’hui, est du même acabit : la vieille garde si talentueuse que leur personnalité se devait de briller sous les projecteurs.
Faire ses preuves avec Silent Hill
Akira Yamaoka est né en Février 1968 et a vite grandi pour développer un sens artistique très fort. Il a donc rejoint le Tokyo Art College. Mais ironiquement, il ne se destinait pas à la musique à l’origine : il voulait être designer. C’est en créant des CG sur son ordinateur qu’il s’est rendu compte qu’il pouvait également composer de la musique sans avoir besoin de savoir jouer d’un instrument. Il a alors commencé à apprendre la musique lui-même, en s’amusant à créer des bandes sons en MIDI avec les sons de la Famicom de Nintendo.
C’est en 1993 que l’homme rejoint Konami. L’éditeur japonais a la cote à l’époque, mais n’hésite jamais à prendre des risques. Le jeune homme va donc immédiatement travailler sur des franchises très populaires comme Contra, et marquera les esprits sur Sparkster. Et oui : il travaillera avec Hideo Kojima pour la bande son de Snatcher. Lorsque le développement de Silent Hill a été lancé, Akira Yamaoka a tout fait pour en devenir le compositeur, possédé par une idée forte imprégnée dans son cerveau : il était le seul capable de lui rendre justice musicalement.
Son premier essai n’était pas forcément le bon. L’artiste se rappelle que ses premières compositions ont été reçues avec peu d’enthousiasme, alors qu’il cherchait à séparer la pièce entre ceux qui adorent et ceux qui détestent. Comment reconnaît-on alors un génie ? Le soir-même, il a composé en 2/3 heures de travail le thème principal de Silent Hill premier du nom. Et a enfin eu le droit à la réaction qu’il attendait. Par la suite bien sûr, il s’est occupé de Silent Hill 2, dont la bande son glacée et industrielle continue de faire cauchemarder les nouvelles générations. Et puisque de son propre aveu, il passait son temps à faire des remarques aux équipes de développement sur la direction que le jeu devrait prendre, il a même fini par devenir producteur de Silent Hill 3 et Silent Hill 4.
Là où l’herbe est plus verte
Après la sortie de Silent Hill 4, surprise : Akira Yamaoka quitte Konami. Mais ne vous méprenez pas : ce n’est pas pour les mêmes raisons que Hideo Kojima ou encore Koji Igarashi. Le compositeur voulait tout simplement chercher à faire autre chose. Quelque part d’une manière surprenante, il n’est pas devenu freelancer pour autant comme bon nombre de ses collègues. Il ne l’a même jamais considéré. Il a plutôt rejoint Grasshopper Manufacture pour travailler en compagnie de son ami et collègue Suda51. Mais cette nouvelle place lui a également permis de pouvoir travailler avec de nombreux autres développeurs et créateurs.
On le retrouve à la bande son de nombreux projets de Grasshopper bien sûr, comme Shadows of the Damned ou encore Lollipop Chainsaw. Mais il a aussi créé le remix de Time To Make History pour Persona 4 Dancing All Night, a composé le thème d’Halloween de World of Tank après avoir rencontré un haut placé de Wargaming en voyage d’affaires, et a géré le chapitre “Silent Hill” du jeu Dead by Daylight. A l’heure où nous écrivons ces lignes, il est attendu comme compositeur de l’animé Cyberpunk prévu sur Netflix, mais aussi et surtout du jeu d’horreur The Medium dans lequel il retrouvera la chanteuse, doubleuse et compositrice Mary Elizabeth McGlynn.
Au-delà des faits, Akira Yamaoka détonne avec ses musiques. Et pour une raison simple : c’est un homme extrêmement jovial et facétieux. Qui aurait cru qu’une musique si torturée puisse sortir d’un rayon de soleil comme lui ? Il l’explique assez naturellement par le fait que ses compositions sont en équilibre avec sa personnalité : s’il compose quelque chose de triste, c’est qu’il est joyeux. Ce qui veut dire que si sa musique est joyeuse, il est triste. Il blague souvent sur le fait que pour pouvoir créer les airs les plus heureux qu’il puisse faire, il devrait sûrement tomber en dépression. Ne fais donc pas ça cher Akira Yamaoka : continue d’invoquer en nous une peur primaire longtemps oubliée. On en redemande toujours.