Le film fantastique 3000 ans à t'attendre est enfin dans nos salles, après avoir fait son petit effet au festival de Cannes. L'occasion de revenir sur l'évolution surprenante du cinéaste George Miller.
À première vue, la filmographie de George Miller peut sembler un peu décousue, et c'est bien normal. A 77 ans, le bonhomme a « seulement » une dizaine de longs-métrages à son actif pour une carrière longue de plus d'une quarantaine d'années. Une œuvre qui va de la trilogie culte Mad Max au diptyque Happy Feet en passant par Babe 2 sans oublier la résurrection Fury Road, c'est légèrement compliqué. Mais pas autant que l'on pourrait le penser.
Génie visuel
La trilogie Mad Max est un choc pour l'époque, surtout le 1er opus. Avec peu de moyens, Miller signe un film majeur à seulement 25 ans. Outre l'influence sur la SF jusqu'à aujourd'hui et la révélation de Mel Gibson, les 3 longs-métrages ont un côté à la fois radical et choquant qui place leur créateur comme un incontournable. L'utilisation des décors naturels, le retour à la sauvagerie emportent l'adhésion. Des années plus tard, il impressionne tout le monde à nouveau avec... Babe 2. Cette suite utilise brillamment la technologie de l'époque pour rendre délirantes et presque épiques les aventures d'un simple cochon. C'est ensuite du côté de l'animation que le réal s'illustre avec Happy Feet 1 et 2, où on suit un pingouin danseur. Là encore, le miracle a lieu : coup sur coup, Miller, dont c'est la première incursion côté animation, délivre un résultat à nouveau salué. Cet amoureux de l'image récidivera finalement avec Fury Road, prouvant qu'à 70 ans, non seulement il a fait fructifié tout ce qu'il a appris pour accoucher d'une mise en scène monstrueuse mais en plus il se paie le luxe de rappeler qui a inventé ce registre de cinéma souvent imité, jamais égalé.
Sélectif (et malchanceux)
Miller a un rythme de tournage très lent comparé au reste de l'industrie qui ne jure que par la régularité. Il lui arrive d'avoir des « pauses » de 4 à 8 ans entre ses sorties. Tout simplement parce qu'il ne s'engage que dans des projets auxquels il croit dur comme fer. De là à dire qu'ils sont tous assez personnels, il n'y a qu'un pas. Entre les Mad Max tournés dans son Australie natale, les films (animés ou non) centrés sur des animaux et le récent 3000 ans à t'attendre, le critère est avant tout le plaisir que le metteur en scène va prendre à écrire et tourner, rien d'autre.
On compte deux écarts qui n'en sont pas vraiment. Un court-métrage au sein du film La 4e Dimension, où il est aux côtés de Spielberg, Joe Dante ou encore John Landis ; on a connu pire compagnie. Ensuite, il y a le film avorté Justice League Mortal. Oubliez les versions actuelles, celui-ci était censé sortir en 2009. Manque de pot, l'équipe subit la grève des scénaristes de 2007 mais aussi une délocalisation forcée au Canada (Miller voulait évidemment l'Australie). Le calendrier devient impossible à tenir et pour couronner le tout, Warner estime que le film ne peut pas coexister avec l'univers Dark Knight de Nolan vu que Batman aurait été joué par un autre acteur (Armie Hammer). Le film est abandonné mais le script a fuité, et c'était ambitieux. Fusion de plusieurs sagas épiques des comics, l'histoire présentait la Justice League contre Maxwell Lord et Talia Al-Ghul qui prenaient le contrôle d'une technologie de Batman pour contrôler le population et certains superhéros. Tout débouchait sur des affrontements dantesques et le sacrifice d'un des leurs. Snif.
Conteur
Sans doute l'aspect qui saute le moins aux yeux mais qui s'impose comme sa base. Les Sorcières d'Eastwick a des allures de fable délicieusement immorale : 3 femmes développent des pouvoirs surnaturels et se retournent contre l'homme mystérieux (spoiler : c'est le diable) qui les leur a donnés. A l'inverse, le drame Lorenzo est tiré de l'histoire vraie d'un couple qui invente un traitement pour sauver leur fils atteint d'une maladie rare. Le rapport avec le reste de son œuvre ? On suit à chaque fois le parcours de marginaux ou du moins de personnages en décalage avec le reste du monde : des parents qui refusent le fatalisme des médecins, un cochon intelligent, un pingouin rejeté des siens, 3 femmes rebelles et bien sûr Max, solitaire dans un monde post-apo.
3000 ans à t'attendre réunit les obsessions du cinéaste. Ici George Miller adopte à la fois un côté intimiste et émouvant avec ses 2 personnages qui passent tout le film à parler mais aussi un conte de fée adulte assumé, avec les anecdotes-flashbacks spectaculaires qu'un génie sorti d'une lampe (Idris Elba) raconte à celle qui l'a trouvé (Tilda Swinton) pour la convaincre d'utiliser ses vœux. Une femme qui a renoncé à sa vie affective pour... se consacrer à ses études de narratologie, ou l'art de raconter des histoires. La boucle est bouclée.