Lost In Translation : traduire le jeu vidéo
Dossier
PUBLIÉ LE 22 mars 2022

Lost In Translation :
traduire le jeu vidéo

Crédit : Capcom
Nico Prat
Nico Prat
Expert Micromania-Zing
PUBLIÉ LE 22 mars 2022

Le jeu vidéo n’est pas américain. Il n’est pas non plus japonais, ni même français. En fait, il est tout cela à la fois. Le jeu vidéo s’exporte, énormément, sans cesse. Nous avons grandi avec Final Fantasy, avec GTA, avec Tintin Au Tibet sur Super Nintendo. Le jeu voyage. La traduction en est donc l’un des aspects les plus importants.

Lux-Pain est un jeu vidéo de type visual novel développé par Killaware et sorti en 2008 sur Nintendo DS. Un jeu peu connu, mais symbole de tout ce qui peut mal tourner. Ainsi, les dialogues des personnages ne laissent que peu de place au doute, l’histoire se déroule aux Etats-Unis. Cependant, les sous-titres indiquent que nous sommes au Japon. Tendez l’oreille, et vous entendrez des références à Los Angeles et à la bouffe américaine. Lisez le texte qui défile sous vos yeux, et vous êtes à Tokyo devant une assiette de tempura.

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Crédit : Square Enix

Autre exemple : Final Fantasy VII. Face à un ennemi aux allures de scorpion, le joueur est amené à croire qu’il peut en venir à bout quand sa queue est en l’air (“Attack while it’s tail’s up! It’s gonna counterattack with its laser” pouvons-nous alors entendre, et le message est clair, “attaque quand sa queue est levée, il va contre-attaquer avec son laser”). En réalité, attaquer à ce moment-là est peut-être le plus dangereux. D’ailleurs, la version japonaise dit clairement ceci : “si tu attaques quand il lève la queue, alors il contre-attaquera avec son laser”. En somme, un simple mot oublié dans la version américaine (un tout petit “et” à la place de la virgule, expliquant le lien de cause à effet) a mené quantité de joueurs à leur perte.

Traduire, c’est prendre le risque

Ici réside l’une des nombreuses difficultés de la traduction d’un jeu vidéo. S’il est commun, en matière de littérature, d’affirmer que “traduire, c’est trahir”, dans le jeu vidéo, traduire, c’est mourir. La perception de la traduction dans la culture occidentale repose sur un rapport ambigu à la “vérité” et à l’exigence de “fidélité”. Dans le jeu vidéo, cette exigence de fidélité est profondément liée au gameplay. De même, dans le cas d'histoires multiples, toutes les possibilités doivent être envisagées afin que, par exemple, la conclusion B fonctionne dans un scénario qui va d’un point A à un point C, et inversement et vice et versa.

Traduction_BarrelRoll
Crédit : Nintendo

Et comme si cela n’était pas encore assez compliqué, le jeu vidéo, c’est une évidence, est un software, fait de lignes de codes, et donc d'enchevêtrement de mots et de chiffres, de sigles. Ce texte original, brut, fragmenté, noyé dans une montagne d'information, n’offre que peu de contexte. Aux traducteurs, dès lors, parfois, d’imaginer, de prendre le risque. Parce que le texte est souvent remis aux traducteurs sous forme de tableurs sans aucune information visuelle ou sonore, la traduction de jeux vidéo peut facilement tourner au fiasco, bien involontaire. Le joueur sera toujours celui qui en paiera le prix : sa vie. Ou tout du moins, une.

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