Expérience multijoueur, jeux mobiles, VR : derrière la métamorphose de Bethesda Softworks se cache Todd Howard. Un homme qui a réussi à faire évoluer ses licences iconiques sans se faire crucifier par les fans. Et ça, c’est fort.
Où qu’il aille, Todd Howard répond à la même question, inlassablement. Même au sein de son propre foyer, entre l’entrée et le plat de résistance. « [Mon fils me demande :] Elder Scrolls VI sort quand ? » relate-t-il à Kotaku. « Je peux te donner mes idées ? Je peux travailler dessus ? Allez, dis-moi quelques trucs, je ne le raconterai à personne. » Même à sa propre progéniture, Todd Howard ne dévoile rien. Il reste de marbre, comme Bran au milieu du chaos de Winterfell. Pour l’homme derrière Morrowind, Skyrim ou Fallout 4, qui enchaine les conférences et les interviews depuis des années, se plonger dans le mutisme est habituel. Même logique, dans la mesure où Bethesda Softworks a enfanté une communauté qui serait prête à retourner Internet pour trouver un indice sur un sequel de Fallout, ou tacler chaque modification apportée à la formule d’Elder Scrolls. Et pourtant, depuis 25 ans, cela ne l’a jamais empêché de bouger les lignes. Portrait d’un visionnaire.
Pour comprendre le cheminement du visage de Bethesda, il faut remonter aux années 1980. Todd Howard, qui suit un double cursus en ingénierie et en finance à l’université de Virginie, est l’un des rares à disposer d’un ordinateur personnel : l’Apple II. Une machine pour laquelle il développe une obsession. « Quand vous avez une machine comme ça, elle ne sert pas uniquement qu’à jouer, on peut l’ouvrir, la disséquer, pour créer ses propres choses » raconte-t-il à WIRED. [L’Apple II] est tout de suite devenu mon exutoire. Je voulais savoir ce dont la machine était capable. » Il poursuit : « Ces années-là m’ont marquées. Je bidouillais des choses sur mon Apple II, ce n’était pas vraiment conscient, mais c’est ce qui m’intéresse dans le gaming. C’est ce qui faisait la spécificité des jeux à l’époque. Les jeux qui m’ont tenu éveillé toute la nuit étaient de grands jeux de rôles, comme Ultima. ». Cité en référence par de nombreux développeurs mythiques, Yuji Horii (Dragon Quest) et Hironobu Sakaguchi (Final Fantasy) en tête, le titre développé par Richard Garriott en 1981 a marqué son époque et posé les bases du genre. « Si tout le monde a une obsession, Ultima est devenu la mienne » rembobine-t-il. « Aucune autre série n’a influencé, à ce point, ma manière de créer des jeux. » En se basant sur sa propre expérience avec Ultima, Todd Howard développe cette idée qu’un jeu vidéo se vit. Qu’il devient bien plus qu’un exutoire pour de nombreux individus, procurant de la joie de la fierté aux personnes qui s’investissent. « J’ai toujours ressenti ça » dit-il. Convaincu d’avoir un avenir dans cette industrie encore balbutiante, Todd Howard frappe à la porte de Bethesda, dont il a eu l’adresse en jetant un coup d’œil à la jaquette de Wayne Gretzky Hockey. « C’était le Martin Luther King Day, je me souviens. Un lundi de janvier, et personne n’était au bureau. J’ai frappé à la porte et j’ai dit « je veux travailler ici un jour. » Revenez à la fin de vos études, lui dit-on. Le jeune étudiant s’exécute, et intègre officiellement le studio en 1994.
Morrowind, la révélation
Le premier véritable tournant de sa carrière, Todd Howard le vit en 2002 avec la sortie de The Elder Scrolls III : Morrowind. Malgré ses réticences à développer une version pour Xbox, la nouvelle console de Microsoft, Bethesda (au bord de la faillite à l’époque, ndlr) s’y risque. Le titre s’écoule à plusieurs millions d’exemplaires, dont la majorité sur consoles. « Cela nous appris qu’on n’avait pas besoin de changer notre identité et que l’audience suivrait. » admet-il. Depuis, Todd Howard s’efforce de répondre aux vœux du public en développant des sequels, tout en faisant évoluer la formule au rythme des évolutions technologiques et sociétales. Première étape de la transformation du studio : exploiter les différentes plateformes, notamment le mobile. L’objectif est simple : toucher une audience qui n’est pas forcément sensibilisé à leur travail, ni au gaming en général. En 2003, Bethesda dévoile Elder Scrolls Travels, un titre basé sur l’univers de sa licence et développé sur mobile et N-Gage. Trop tôt. Il faut attendre 2015, et la sortie de Fallout Shelter sur iOS et Android pour convaincre les adeptes de Candy Crush. En 2017, le titre comptabilise plus de 100 millions de téléchargements. « Plus de joueurs que tous mes jeux combinés » rappelle Todd Howard. À lui seul, Fallout Shelter, pourtant critiqué au départ, symbolise le changement d’orientation d’un studio historiquement ancré sur PC.
Le pari Fallout 76
En 2018, rebelote. Bethesda dévoile Fallout 76, premier titre de la série proposant une expérience exclusivement online. Même si le modèle a déjà été testé sur The Elder Scrolls Online, le pari est immense. « Nous avons porté ici notre idée d'un jeu online vraiment unique et cool qui convient à Fallout tout en étant conscient que cette annonce allait sans doute frustrer certaines personnes » plaide Todd Howard dans les colonnes de Jeuxvideo.com. « En tant que créateurs, nous devons équilibrer les choses et sortir parfois du modèle : « voici une suite +1, en voici une autre… ». Nous faisons ça depuis maintenant 20 ans maintenant, donc nous devons faire des choses nouvelles. » En 2017, Bethesda s’essaie même à la VR, toujours dans le but de se démarquer de l’offre du moment. Rien ne l’arrête.
La mort du jeu solo ?
Est-ce pour autant la fin des immenses jeux solo estampillés Bethesda ? Non, selon Todd Howard, qui a défendu ce modèle à maintes reprises. « Ceux qui ont affirmé que [le « game as service »] incarnait l’avenir et que cette partie du gaming était morte se sont trompés à chaque fois » rappelle-t-il à GamesIndustry. Mais surtout, Todd Howard ne rentre pas dans ce genre de considérations. Ce qu’il souhaite avant tout, c’est que le jeu lui plaise, ainsi qu’à ses collaborateurs. « On est cent et quelques : si on aime tous une idée, en général, on se dit que notre public l’aimera aussi. » On ne peut pas tromper une fois 100 personnes…