Annoncée il y a 5 ans, la version cinéma du jeu de Naughty Dog n’a toujours pas vu le jour. Pourquoi ? Et en a-t-on vraiment besoin ? Voici quelques éléments de réponse.
« Je ne veux pas que ce film se fasse. » Nous sommes en février 2018 au DICE Summit de Vegas, et Neil Druckman est catégorique. Pour le co-créateur de The Last of Us, une adaptation de son bébé au cinéma est inenvisageable. « Ashley Johnson est Ellie, et Troy Baker est Joel » ajoute-t-il en parlant des acteurs modélisés pour incarner les deux héros du jeu originel. « Il serait très troublant de voir d’autres personnes jouer leurs rôles. » Peut-être, mais Druckman lui-même n’a pas toujours été de cet avis. Rembobinons : en 2013, la sortie de The Last of Us est immédiatement suivie de son entrée au panthéon vidéoludique. Survival poignant et joyau narratif, le titre séduit la critique et emballe les foules. Pour son éditeur Sony, la suite est limpide : si la beauté particulièrement cinématographique de la relation Joel-Ellie a tiré des litres de larmes aux joueurs, il n’y a pas de raison qu’elle n’émeuve pas en salles. Dès mars 2014, la firme nomme donc les tauliers du projet : Sam Raimi - le papa d’Evil Dead et de la première trilogie Spider-Man – produira le film via sa société Ghost House Pictures, Screen Gems le distribuera, et Neil Druckman se chargera de l’écriture du script.
Une Arya Stark de 40 ans
Dans la foulée, un autre casting se dessine : celui des acteurs. Maisie Williams, l’Arya Stark de Game of Thrones, est virtuellement engagée pour incarner Ellie. « Ils veulent que je le fasse, et je veux le faire » » explique-t-elle à IGN à l’époque. . « Mais pour le moment, il n’y a pas de script, pas de réalisateur, rien. Bon, mais nous sommes encore au début du projet, donc ça. S’ils le font dans 30 ans, ils ne pourront pas avoir une Ellie de 40 ans. » Heureusement pour Maisie, Neil Druckman confirme dans la foulée à Game Informer que le boulot avance bien : « Je viens de finir une seconde version, et on a fait une lecture avec quelques acteurs…Il y a de gros changements, mais le ton et l’histoire sont plutôt fidèles au jeu. » affirme celui qui bosse alors en parallèle sur Uncharted 4. Soit le seul des deux projets qui verra le jour. En avril 2016, on apprend de la bouche du même Neil que l’adaptation, en plein « development hell », est rangée au congélateur. Pourquoi cette mise en sommeil ? Sam Raimi a sa petite idée : « Ils (Sony et Druckman, ndlr.) ne veulent pas avancer » déclare-t-il quelques mois plus tard à IGN . « Je crois que Neil est en désaccord avec eux sur la façon dont les choses devraient se faire. Et je n’ai pas le pouvoir de faire avancer les choses. » Qui n’avanceront d’ailleurs pas.
Neil le "branleur"
Le silence radio des deux parties sera même total, jusqu’à ce que Neil le brise lors du DICE Summit et exclue donc toute possibilité de remake littéral de son œuvre. Tout en prenant soin de laisser quelques portes ouvertes derrière lui : « Peut-être qu’il y a quelque chose d’autre à faire dans cet univers, sur d’autres personnages ou une autre période. » explique-t-il alors, avant de clarifier ses positions en évoquant un autre gros chantier : le film Uncharted. « On a un peu évolué sur nos sentiments concernant toutes ces adaptations au fil des ans. » détaille-t-il. « Avant, c’était « Oh mon dieu ! Le cinéma nous regarde ! » Mais plus le temps passe, moins on est excité à l’idée d’avoir une adaptation directe de l’histoire que nous avons raconté, parce qu’on estime l’avoir déjà suffisamment bien racontée d’un point du vue cinématique. Shawn Levy (le réalisateur présumé du film à l’époque, remplacé par Dan Trachtenberg depuis ndlr.) souhaitant raconter une histoire différente des quatre jeux, avec potentiellement un jeune Nathan Drake, a pour le coup du sens. » Tant pis, donc, pour Joe Carnahan, le réalisateur du Territoire des Loups, qui avait pondu sa propre version d’Uncharted, avant de se faire débouter par Druckman. Un homme qu’il ne porte pas vraiment dans son cœur depuis : « C’est un branleur (« jerkoff » en VO) Il y avait un peu de sabotage chez Naughty Dog. » expliquait-il ainsi en mars dernier. Peut-être, mais le sabotage en question ne serait-il pas bienvenu ? Et si Druckman et sa bande, certainement pas encouragés par plusieurs décennies d’adaptations foireuses, n’avaient-ils pas raison de faire barrage ?
De l'impossibilité d'adapter un (bon) jeu
Au-delà du sujet de l’incarnation, renforcée par la qualité de sa motion capture, un titre comme The Last of Us a tout de l’archétype du jeu inadaptable. Ou tout simplement du jeu vidéo par excellence. Après tout, comment retranscrire sur grand écran ces mille fragments de dialogues insérés dans le gameplay qui lient étroitement – et progressivement - la relation entre Ellie et Joel aux mécaniques de jeu ? Comment remplacer le principe d’interaction, et donc d’identification et de récompense émotionnelle qui vient avec ? Comment en somme, transformer une forme d’art déjà aboutie en une autre sans la dénaturer ? Sans parler, comme l’expliquait la « narrative designer » Cara Ellison au Guardian, du problème de la durée : « Un bon script de film est concis, et les gros jeux ne le sont pas. Les gros titres de franchises, ceux sur lesquels les studios de cinéma pensent pouvoir capitaliser, durent au moins 15 heures. Essayer de faire rentrer tous les trucs bizarres que les joueurs rencontrent dans un film de 120 minutes est un boulot difficile, et probablement inutile. » Pourtant, le projet d’adaptation de The Last of Us n’a jamais été officiellement abandonné, et la sortie prochaine du second opus ne devrait pas calmer les ardeurs de Sony en la matière. À tort ou à raison ? Gageons que vous aurez vite la réponse en Imax.