Fantasque interprète du Génie dans Aladdin, rôle qu’il a incarné à une époque où les acteurs se prêtaient rarement à l’exercice du doublage, Robin Williams a marqué l’univers Disney de son empreinte. Malgré une relation tumultueuse avec le studio.
Lors de la promo d’Aladdin - sorti en salles le 22 mai 2019 - son nom a été régulièrement cité. Par Guy Ritchie, qui réalise le remake du classique de Disney, mais aussi par Will Smith, qui a la lourde tâche de lui succéder. Et pour cause : en 1992, Robin Williams marque toute une génération en incarnant le personnage du Génie. Décédé en 2014, l’acteur laisse derrière lui un rôle qui a été écrit pour lui. Et un héritage inestimable que personne ne pourra lui enlever. Car avant de mettre fin à ses jours, Robin Williams a interdit « d’exploiter son nom, ses performances d’acteur ou les enregistrements de sa voix durant 25 ans après sa mort » rapporte le Sunday Times. Pour que sa famille n’ait pas d’ennuis avec le fisc américain, avance-t-il dans son testament. Impossible pour Disney, donc, de réaliser une adaptation du classique en utilisant sa voix, même si le studio dispose de plusieurs dizaines d’heures d’enregistrements. Entre Robin Williams et Disney, c’est le dernier rebondissement d’une histoire tumultueuse. Mais surtout d’une collaboration qui a marqué l’histoire du cinéma.
Schizophrénie, héritage & produits dérivés
L’histoire commence en 1991. À l’époque, Eric Goldberg (animateur ayant travaillé sur Pocahontas, ndlr) est
investi d’une mission : animer un sketch de Robin Williams où ce dernier enfile le costume du Génie dans
Aladdin. La demande émane de John Clements et Ron Musker, qui espèrent convaincre les dirigeants de Disney
d’engager l’acteur. Pas simple à l’époque : l’exercice du doublage ayant longtemps été boudé par les icônes du
cinéma. Pour créer la séquence, Eric Goldberg s’inspire d’un sketch abordant le thème de la schizophrénie. Le
Génie a deux têtes, et débat avec lui-même. La séquence fait mouche, et Robin Williams accepte. « Robin a
parfaitement compris comment l’animation pouvait exploiter ses talents » raconte Eric Goldberg au Los Angeles
Times.
L’acteur accepte d’être payé au tarif minimum : 75 000 dollars, alors que ses cachets avoisinent habituellement 8
millions de dollars. À titre de comparaison, Mike Meyers (Austin Powers) a été payé 108 000 dollars par minute
lors du tournage de Shrek 3. Mais Robin Williams n’accepte pas ce rôle pour payer les factures. Son désir est
louable : « laisser quelque chose de merveilleux à ses enfants ». En contrepartie, l’acteur de Good Morning
Vietnam - qui a conscience que sa présence au casting a de la valeur d’un point de vue marketing - ne souhaite
pas que sa voix soit associée à la vente de produits dérivés. « Je ne veux rien vendre » précise-t-il au New York
Magazine
, en 1993. « C’est la seule chose que je ne fais pas. » Raté. Le studio n’hésitera pas
à l’utiliser dans l’une de ses publicités. Entre les deux partis, le divorce est donc rapidement prononcé. « Quand
vous travaillez pour Disney, vous comprenez pourquoi Mickey n’a que quatre doigts : parce qu’il ne peut pas
saisir un chèque » plaisante-t-il, amer. Le studio tentera bien de se racheter, en lui offrant un auto-portrait de
Picasso estimé à un million de dollars, mais Williams ne prendra même pas la peine d’accrocher. Jusqu’aux
excuses publiques du studio en 1996, il refusera de reprendre son rôle, qui sera confié à Dan Castellaneta
(doubleur d’Homer Simpson, ndlr) dans Le Retour de Jafar et la série. Robin Williams fera son grand retour lors
du troisième volet : Aladdin et le Roi des voleurs. En 2009, il sera introduit au Hall of Fame de Disney : Disney
Legends. Preuve de l’empreinte qu’il a laissé dans l’imaginaire collectif.
The Voice
Réduire la collaboration entre Disney et Robin Williams à une sombre histoire de produits dérivés serait toutefois malhonnête. Ce serait omettre le côté pionnier de l’acteur, qui a été l’un des premiers comédiens avec une telle aura à se prêter - avec brio - à l’exercice du doublage dans un film d’animation. Ce serait oublier, aussi, ce qu’il a apporté au personnage, dont le rôle était - au départ - plutôt secondaire. « Nous aurions pu trouver quelqu’un qui était techniquement doué pour les imitations » précise Eric Goldberg. « Mais nous avons essayé de retranscrire la chaleur que Robin apportait au personnage. Les personnages secondaires apportent l’aspect comique, certes, mais il faut aussi qu’on croit qu’ils se soucient du personnage principal. On doit croire en leur sincérité. Sans cela, c’est un exercice technique, mais qui n’a pas de cœur. » Et du cœur, Robin Williams en avait. Au total, l’homme improvise pendant plus de seize heures en studios, et imagine la plupart des gimmicks du Génie devant une foule d’assistants et d’ingénieurs du sons hilares. Scott Weinger, doubleur d’Aladdin, reste marqué par la performance de l’acteur qui, selon lui, se métamorphose quand la lumière rouge s’allume : « La transformation était stupéfiante, comme si on avait appuyé sur un bouton » se rappelle-t-il . « Son esprit tournait à plein régime. C’était incroyable à observer, ce talent d’improvisation. On se demandait s'il avait planifié tout cela à l'avance ou si ce n’était pas tout simplement spontané. C'était difficile à dire parce que c'était si brillant et fulgurant, c'était incroyable. »
Mais ses blagues (il pouvait en débiter une trentaine à la minute, ndlr) resteront inconnues du grand public, du moins pendant un temps. Will Smith, qui a repris le rôle dans l’adaptation en live action, ne cachait pas son angoisse à l’idée de succéder à un tel monument : « J’étais effrayé à l’idée de reprendre le rôle du Génie. Robin Williams n’a pas laissé vraiment de place pour faire mieux… » confiait-il en marge de la première en France . « Mais en réécoutant la musique, je voulais créer de la nostalgie, faire appel aux souvenirs du public tout en imposant mon style ». Reste à savoir si sa version rappée de « Friends Like Me » marquera autant son époque.