À l’origine, Rick and Morty était une parodie de Retour vers le Futur dont l’objectif était d’énerver les ayant-droits. Puis, sous l’impulsion de Dan Harmon, le concept a changé de dimension.
Les thérapeutes sont formels : se défouler après une journée de travail, passée à enchainer les coups de fils et éviter les taquets dans les transports, ça a du bon. Pour certains, évacuer le stress passe par une promenade dans un parc, un thé à la camomille devant un programme télévisuel désuet ou une pinte fraîche au bar du coin. Bref, une activité suffisamment joviale pour justifier le simple fait de s’être levé à l’aube. Pour Justin Roiland, co- créateur de la série Rick & Morty diffusée sur Adult Swim, le rituel de fin de journée a des sonorités plus rock&roll qu’une séance de méditation. En 2006, le gamin de Manteca vient de quitter une chaîne dont « il ne souhaite pas prononcer le nom » (Spike - devenue Paramount Network, ndlr) qui l’a épuisée d’un point de vue psychologique et créatif. Pour faire retomber la pression et harmoniser ses chakras, l’homme se lance dans un projet parallèle aussi barré qu’excessif, afin d’oublier sa situation : . Une parodie vulgaire d’Emmett Brown et Marty McFly, protagonistes du classique de Robert Zemeckis.
« Troller » les studios Universal
Dans le court-métrage, disponible sur Vimeo, les deux personnages se livrent à plusieurs actes sexuels (qu’on ne détaillera pas) pour, entre autres, réparer la machine à voyager dans le temps ou empêcher un arbre de pousser. L’objectif est simple : choquer l’auditoire et (surtout) énerver les ayant- droits du film, comme il l’explique dans la courte description de la vidéo : « À l’époque (octobre 2006), je n’avais rien à perdre et ma première intention était de l’appeler ‘Retour vers le futur : le nouveau dessin animé officiel des studios Universal avec le nouveau Doc Brown et Marty McFly’. Puis m’asseoir et attendre la lettre des avocats. C’est pour ça que c’est aussi vulgaire. Je voulais juste “troller” un gros studio. » Ce court-métrage, Justin Roiland le diffuse au Channel 101, un festival de court-métrage fondé par Dan Harmon, ayant lieu chaque mois à Los Angeles. Un événement qui permet, selon son site officiel, d’apprendre trois choses aux créateurs : « Comment échouer, comment réussir, et enfin, pourquoi il n’y aucune différence entre les deux. » Le cadre est posé. Le projet est diffusé devant 300 personnes, plus choquées les unes autres que les autres. Dans les colonnes de RollingStone, il se souvient : « J’étais heureux d’être assis dans ce cinéma, entouré de 300 personnes, et d’assister à leurs réactions. C’était l’un des plus beaux moments de ma vie. » Mais dans l’assemblée, au milieu des spectateurs traumatisés, il y a Dan Harmon. Complètement hilare. « À chaque fois que je regardais [Doc et Mharti] j’étais mort de rire (…) c’était punk rock. » explique-t-il à IGN. Mais ce dernier n’est pas surpris, car Justin Roiland n’en est pas à son coup d’essai. Un an plus tôt, il a fait sensation au Channel 101 avec House of Cosbys, un cartoon où le protagoniste principal construit une machine pour cloner Bill Cosby. Une série de quatre épisodes qui lui a valu une lettre des avocats de l’acteur, mais aussi une petite renommée dans le milieu.
Le dernier espoir de Justin Roiland
Alors quand Adult Swim fait appel à Dan Harmon pour réaliser le pilote d’une nouvelle série d’animation, il pense directement au type qui l’a fait marrer sept ans plus tôt. Pour Justin Roiland, c’est sans doute le dernier espoir de percer. Depuis dix ans, le père de Doc et Mharti tente de vendre de nombreux shows à des chaines de télévisions, comme Cartoon Network ou Fox. En vain. « C’était vraiment douloureux de voir ses projets se faire descendre les uns après les autres » rembobine Dan Harmon. « Il m’a littéralement dit : « Je ne sais pas si je vais pouvoir supporter ça encore longtemps ». Le showrunner, qui vient de se faire écarter de Community par NBC, a pour ambition de rendre l’humour de son acolyte accessible à une audience plus large. « Le défi était de faire comprendre à ma mère que c’est drôle de voir quelqu’un vomir de la diarrhée. » Pas une mince affaire.
La naissance de deux personnages cultes
Les deux hommes décident de faire revivre Doc et Mharti, pour lesquels Justin Roiland s’est pris d’affection. L’idée est simple : laisser le côté désinvolte au personnage de Rick (anciennement Doc, donc) et le transformer en patriarche alcoolique d’une famille visiblement dépassée par les événements, à laquelle le spectateur peut (potentiellement) s’identifier. Le personnage de Mharti est lui aussi complètement repensé sous l’impulsion de Mike Lazzo, directeur créatif d’Adult Swim, qui le considère comme un simple punching ball. « Même si Morty est vraiment drôle pendant cinq minutes, il va rapidement me lasser » plaide-t-il. Morty ne suit plus bêtement Rick. Il lui arrive de se rebeller. Même s’il passe, tout de même, le plus clair de son temps à se plaindre. « Morty est, selon moi, l’un des personnages les plus complexes de la série » précise Mike Lazzo dans un mini-documentaire diffusé par Adult Swin. « Quand je regarde Rick et Morty, je suis Morty ». Mission accomplie pour Dan Harmon. Fin 2017, Rick & Morty a réalisé les meilleures audiences de l’histoire d’Adult Swim et a été, logiquement, renouvelé. Et tant pis s’il fallait abandonner l’aspect parodique de Retour vers le Futur pour en arriver là. « Paradoxalement, l'apparence et ma très mauvaise imitation des personnages sont peut-être les deux seules choses qui ont été conservées. » C’est sans doute aussi pour ça qu’il ne faut pas « feed the troll ».
