Jeunes ou non, enfants de la Mega Drive ou de la Nintendo Switch : tous les joueurs connaissent Sonic le Hérisson. Le personnage de Sega reste un emblème malgré différentes adaptations pas toujours réussies… On enquête.
Tout avait si bien commencé…
Au début de l’année 1990, la direction de Sega fait une commande très particulière à ses équipes : créer un jeu dont le héros est suffisamment cool pour devenir la nouvelle mascotte de la firme. Un personnage véloce, nerveux, agressif : voilà ce dont rêve le designer Naoto Ohshima. Pour le jeu Sonic the Hedgehog sorti en 1991, il imagine alors un hérisson d’un bleu profond, équipé de chaussures capables de le faire courir à la vitesse de l’éclair. Le look du personnage séduit, le gameplay frénétique du soft captive, nos chères têtes blondes sont immédiatement conquises. Sonic est rapidement couronné mascotte de Sega et s’oppose au bedonnant Mario de Nintendo.
Avec plus de quatre millions d’exemplaires écoulés sur Megadrive, les premières aventures de notre héros sont un véritable carton pour Sega. Et lorsqu’on parvient à réaliser une telle performance commerciale, que fait-on ? On décline, bien évidemment. C’est ainsi que dès 1992, les œuvres dérivées commencent à voir le jour avec, pour débuter, un comics publié par Archie Comics. Nous y suivons les aventures des Freedom Fighters, petit groupe de combattants mené par la princesse Sally Acorn. Vous n’avez jamais entendu parler de cette héroïne ? C’est normal, sa présence dans les jeux se limite à un simple caméo dans Sonic Spinball. Quelques mois plus tard, une série co-produite par Sega of America fait son apparition sur les écrans. Elle s’appelle simplement Sonic Le Hérisson et s’appuie sur un lore semblable à celui développé dans l’œuvre d’Archie Comics… Avec les mêmes personnages improbables. Nous retrouvons par exemple une délicieuse représentation de la bravoure française sous les traits de l’immense Antoine Depardieu, prétendant de Sally dont la lâcheté fait le régal de Sonic. Une sorte de Pépé le putois un peu terne, quoi.
Trop d’auteurs, trop de visions
Si Sonic et Tails font bien partie de cette fameuse bande baptisée Freedom Fighters, ils sont en revanche accompagnés d’une multitude d’autres personnages que les fans des jeux ne connaissent probablement pas. Rotor Walrus, Bunnie Rabbot-D'Coolette, Scourge the Hedgehog, Fiona Fox… Autant de héros qui semblent avoir été créés par une multitude d’auteurs plus ou moins inspirés, au fil des numéros, et sans réelle concertation avec les papas des jeux vidéo. Et c’est là le problème majeur de Sonic : Sega exerce-t-il un véritable contrôle créatif sur sa franchise ? Après avoir passé en revue les différentes œuvres dans lesquelles apparaît le hérisson, on se rend compte que c’est un peu le bordel. Pour chacune des adaptations de la licence, que ce soit en bande-dessinée, en série TV ou en film, les scénaristes ont emmené la mascotte de Sega dans une direction différente. Résultat : des univers totalement déconnectés les uns des autres et un lore complètement désordonné.
Le problème, c’est que ces auteurs ne se sont pas contentés de créer des aventures alternatives n’ayant que peu d’incidences sur la véritable histoire de Sonic. Par exemple, connaissez-vous la planète Mobius ? Il s’agit du lieu de naissance de notre héros et d’une bonne partie de ses amis. Des terres largement décrites, expliquées et représentées dans les numéros publiés par Archie Comics entre 1992 et 2016. Une partie cruciale de l’histoire du hérisson qui n’est pourtant pas évoquée dans les jeux. Bien sûr, toutes ces libertés prises par les auteurs assez peu encadrés par Sega ne font pas de ce comics un ratage total, mais plutôt une création en décalage avec la franchise vidéoludique connue de tous.
Ce malaise est d’autant plus présent que la liste des adaptations est étonnamment longue. On ne dénombre ainsi pas moins de cinq séries TV diffusées depuis 1993. Nous avons déjà abordé Sonic le Hérisson, mais il faut également citer Les Aventures de Sonic, qui n’aura tenu qu’une petite saison. À cause de ses intrigues enfantines et de ses messages éducatifs grotesques en fin d’épisode ? Peut-être. À l’extrême opposé, la série en 3D Sonic Boom regorge de messages très adultes, abordant sans ambages la question de l’égalité des sexes, et de scènes jugées "étonnamment violentes" par certains critiques. Pour la continuité et la cohérence, on repassera.
Sonic, qui es-tu ?
Puisque le studio japonais laisse faire ce qu’ils veulent à ces scénaristes, le pauvre Sonic semble avoir quelques troubles d’identité. Vous saviez qu’il avait un frère et une sœur, Manic et Sonia ? C’est en tout cas ce que nous raconte la série TV Sonic le Rebelle, diffusée à partir de 1999. On y suit les péripéties de ces trois hérissons qui cherchent leur père tout en jouant régulièrement un petit morceau de musique à l’aide d’instruments magiques… Autant vous dire qu’aucun de ces éléments ne sera repris par la suite et que cette histoire prendra fin au terme d’une saison. Et que penser de Sonic X ? La seule adaptation télévisée faisant l’effort de suivre un tant soit peu le format des jeux se paie des doublages d’une qualité plus que douteuse, ainsi qu’une myriade de personnages caricaturaux à souhait. Il faudrait également nous expliquer pourquoi Chris ressemble autant à Sora, le héros de Kingdom Hearts… Une simple coïncidence, sans doute.
Et puisque nous évoquons les adaptations de Sonic, pourquoi ne pas nous attarder un peu sur le film sorti tout récemment ? Produit par Paramount Pictures, ce long-métrage s’est fait connaître suite à immense bad buzz apparu sur le Net à partir d’avril 2019. Il faut dire que le premier trailer mis en ligne dévoilait un Sonic beaucoup plus humanisé que de coutume, avec des yeux bien séparés. Un choix lourdement critiqué par les fans qui ont poussé les producteurs à modifier le design du hérisson avant la sortie. Une décision courageuse, mais une nouvelle preuve du manque de contrôle de Sega. Comment le studio a-t-il pu valider une chose pareille ? Il semblerait qu’il n’ait en fait pas son mot à dire. Le réalisateur du film, Jeff Fowler, a lui-même indiqué que la firme japonaise avait émis des réserves concernant ce premier design de Sonic…
Avec tous ces personnages oubliables, tous ces univers plus ou moins connectés, la mascotte de Sega ne semble donc plus savoir qui elle est vraiment. Et c’est bien là le problème : les adaptations citées ci-dessus ne sont pas forcément mauvaises en soi, mais elles n’ont, la plupart du temps, que peu de rapport avec l’œuvre originale. Sonic est-il un orphelin équipé d’une amulette magique et guitariste à ses heures ? Un héros un peu tête à claque aidé par le policier Tom Wachowski pour chasser le Dr. Eggman de la ville de Green Hill ? Un certain Olgilvie Maurice Hedgehog, leader d’un groupe de combattants révolutionnaires ? Dans le cas du hérisson, il semble y avoir finalement autant d’univers que d’auteurs. Difficile donc de trouver un semblant de cohérence dans ce lore en vrac pour les fans des jeux originaux. Mais il y a tout de même un petit motif d'espoir : le film de Jeff Fowler est actuellement en train de cartonner au box office - en France comme aux Etats-Unis - en espérant que le hérisson n'est pas parti sur un sprint mais bien un marathon.