Sans promotion ni financement, Minecraft est devenu le deuxième jeu le plus vendu de l’histoire. Et peut prétendre au même succès dans 10 ans, même si beaucoup l’ont qualifié de “moche” ou “simpliste”. Mais comment expliquer cette longévité ?
Une oeuvre (presque) anti-système
Dans un secteur où les studios lâchent allègrement plusieurs millions dans le développement et la promotion de
leurs jeux, Minecraft fait figure d’OVNI. Un jeu né en marge des circuits établis, sans campagne de
communication ni soutien financier. Minecraft (baptisé “Cave Game” à l’origine, ndlr) est l’œuvre d’un seul homme
: Markus “Notch” Persson. Un homme propulsé au rang de patron malgré lui, qui se considérait dans les colonnes
du New Yorker comme un type qui
“ souhaite simplement venir au boulot et faire son travail.” Avant de devenir multimillionnaire - encore malgré lui -
et de passer ses journées à lâcher des inepties sur Twitter, Markus Persson a eu le parcours classique du
développeur indé. Minecraft, il l’a conçu en dehors des heures de bureaux avec un double objectif : s’amuser et
faire en sorte que le titre rapporte assez d’argent pour “ financer le développement d’un jeu ultérieur.” Tant par
ses actions que par ses déclarations, celui qu’on surnomme Notch n’a jamais eu les traits d’un patron de start-up
classique. Plutôt le comportement d’un type qui n’a jamais voulu faire du profit et qui a été rapidement dépassé
par les événements.
L’imaginaire qui s’est construit autour de ce visionnaire, qui se fout royalement des études de marché, du principe
de “focus group” ou plus globalement du système en place, a indéniablement participé au succès du jeu. Car
Notch a, sans s’en rendre compte, prouvé qu’au 21e siècle, on peut capitaliser sur une idée plutôt que sur un
emballage marketing. Et qu’un type lambda peut percer avec un jeu qu’aucun studio n’aurait voulu développer,
comme le confirme Linus Larsson, auteur de “Minecraft: The Unlikely Tale of Markus 'Notch' Persson and the
Game that Changed Everything: “ Lorsque nous avons fait des recherches sur le livre, nous avons parlé à de
nombreuses personnes de l'industrie à Stockholm et elles ont toutes admis qu'elles n'auraient jamais accepté
l'idée de Minecraft si elle leur avait été présentée. ”
Imité, jamais égalé
Quel titre peut se vanter d’avoir attiré toutes les catégories d’âges et sociales ? Peu, en dehors de Minecraft. Et pourtant, malgré ses 176 millions d’exemplaires vendus, le concept de Minecraft n’a jamais été copié par les grands studios. Ces mêmes firmes qui se sont pourtant pliés en quatre pour sortir un battle royale après la sortie de Fortnite. Depuis 2011, plusieurs clones de Minecraft ont vu le jour, comme FortressCraft ou Terraria, mais l’engouement autour du bébé de Notch s’est cantonné à la sphère indé. Pour une raison simple : aucun gros poisson de l’industrie ne peut encourager le modding, et traiter sa communauté avec autant de distance et de bienveillance qu’un studio indépendant comme Mojang. Pour des sombres histoires de droit d’auteurs, essentiellement, mais on y vient.
Une communauté dévouée
Contrairement à la majorité des studios, Notch a toujours eu conception ascendante du jeu vidéo. Partir de la base, l’idée, puis s’appuyer sur les feedbacks de la communauté pour concevoir le produit fini. Le développeur suédois a toujours tenu un blog, avant même de dévoiler Minecraft au public, où il soumettait ses travaux à des professionnels et des passionnés rencontrés sur des forums. Cette méthode de partage de l’information a été conservée pendant toute la durée du développement, rendant la communauté indispensable à l’évolution du projet et favorisant, in fine, son succès en lui donnant l’importance qu’elle mérite. Huit ans après la sortie officielle, l’impact des joueurs sur le titre est toujours visible, notamment par l’intermédiaire des modders. Des cracks qui modifient sans cesse ce jeu où tout est possible, et qui apportent du contenu sans que Mojang (et Microsoft, de fait) n’ait à dépenser un centime. “ Minecraft est un succès c’est un jeu qui prend la créativité des joueurs aussi au sérieux que celle de son créateur ” expliquait un professeur de droit sur le site Gamasutra, en 2014. “ Minecraft est fascinant parce qu’il semblerait que Notch n'a jamais reçu le mémo sur la propriété intellectuelle, que l'industrie du jeu vidéo connaît maintenant par cœur. Notch a développé un jeu qui confère aux joueurs, y compris aux enfants, l'impression d'être des architectes (...) Minecraft est un jeu qui permet aux gens de découvrir leur propre créativité, même s'ils n’avaient pas l’intention d'être créatifs à l’origine. ”
Liberté, égalité, fraternité
Difficile d’expliquer le succès de Minecraft sans aborder son accessibilité. Tournant correctement sur n’importe quel grille-pain, porté sur toutes les plateformes et accessible financièrement, Minecraft coche toutes les cases. Niveau gameplay, le concept est simplissime, mais applique la Loi de Bushnell à la lettre : « Les meilleurs jeux sont ceux qui sont faciles à appréhender mais difficile à maîtriser. Un tel jeu sait récompenser aussi bien les débutants complets que les experts. » PVP, PVE, exploration, survie : sur Minecraft, tout est possible, tout est envisageable, et chaque joueur démarre sur un pied d’égalité. On lui confie les clés d’un monde où rien n’est balisé, qu’il peut transformer à sa guise, en interagissant avec une communauté hyperactive ou en se formant sur le tas après avoir visionné des milliers d’heures de contenus sur Youtube. Et surtout, en s’investissant sur un jeu au concept suffisamment intemporel pour ne pas avoir besoin d’évoluer, il a l’assurance de rentabiliser son temps. Demain ou dans dix ans, Minecraft ne changera pas. Et c’est tant mieux.