Regard glaçant, visage démoniaque : la figure clownesque de « Ça » imaginée par Stephen King au début des années 1980 a marqué plusieurs générations et alimenté la coulrophobie de nombreux spectateurs. Retour sur la naissance d’un antagoniste devenu culte.
Stephen King n’a, de son propre aveu, jamais eu peur des clowns. Enfin presque. Invité dans le talk-show de Conan O’Brien en 2005, le romancier raconte avoir été, une fois, sérieusement déstabilisé par un type déguisé en Ronald McDonald. « J’étais en tournée pour la promo de mon livre (Dead Zone, ndlr) et je rentrais chez moi (…) la porte [de l’avion] s’ouvre et Ronald McDonald embarque » rembobine-t-il. « Il porte le déguisement complet et s’assoit à côté de moi, parce que je suis un aimant à mec bizarre. Il est là, avec ses cheveux orange, ses chaussures orange (…). L’avion décolle, le voyant « non-fumeur » s’éteint, il sort un paquet de clopes, en allume une et demande un gin tonic à l’hôtesse de l’air. Je lui ai demandé le premier truc qui m’est passé par la tête : ‘D’où venez-vous ?’ Il m’a répondu McDonaldland, qui est un véritable lieu à Chicago. »
Une étiquette qui lui colle à la peau
Cet homme l’a-t-il inspiré pour concevoir « Pennywise » (Grippe-Sou dans la version française, ndlr), forme clownesque que peut prendre « Ça » pour terroriser ses victimes ? Sans doute, mais pas seulement. Sa démarche était beaucoup plus cartésienne pendant l’écriture du best-seller « Ça », sorti en 1986. Un bouquin qu’il considère comme son « examen final » sur la thématique de l’horreur. « Il avait l'intention que Ça soit son dernier roman d'horreur, lassé de cette étiquette qu'il traînait » explique Émilie Fleutot, créatrice du site Stephen King France, dans les colonnes du Point. « Du coup, il y a mis ses tripes, tout ce qu'il sait faire en matière de terreur et de cruauté, et ça se ressent. »
Un monstre qui combine toutes les phobies
Imaginer un monstre aussi tordu lui permet surtout, au début des années 1980, de répondre à une question existentielle qu’on lui sort régulièrement en interview : mais au fait, Stephen, qu’est-ce qu’on a bien pu te faire pour que tu écrives des trucs aussi terrifiants ? « À l’époque, j’ai lu beaucoup de critiques, beaucoup de choses sur mon travail parlant du fait que j’étais un romancier d’horreur » raconte-t-il au TIME. « On me demandait : ‘quel évènement dans ton enfance t’a donné envie d’écrire ces choses terribles ?’. Je n’ai pas trouvé de réponse à cette question. » Pour qu’on lui lâche la grappe, il imagine la riposte idéale : créer un monstre qui combine toutes les phobies des enfants. Dans son livre, « Ça » devient une entité prenant différentes formes : vampire, loup-garou, momie et celle du clown, sa préférée. « Je me suis demandé ce qui effrayait le plus les enfants ».
« Pennywise a terrorisé une génération entière de spectateurs »
« J’ai donc créé Pennywise. » poursuit-il. « Puis la chaine ABC est arrivée et m'a annoncé son désir de produire une mini-série avec Tim Curry dans le rôle du clown. Je trouvais l'idée bizarre mais ça a fonctionné puisqu'il a terrorisé une génération entière de jeunes spectateurs et leur a donné une grosse peur des clowns. Mais il faut dire que les clowns sont déjà flippants à la base. »
Flippant, c’est le moins que l’on puisse dire. La peur du clown a même un nom : la coulrophobie. Un sentiment incontrôlable déclenchant des émotions fortes chez ceux qui en sont victimes : accélération du rythme cardiaque, spasmes, voire difficultés respiratoires. Pas étonnant, donc, que la figure du clown soit régulièrement utilisée à la télévision et au cinéma (le Joker dans Batman, Twisty dans American Horror Story) pour faire flipper les gamins dans les chaumières. Mais elle n’a sans doute jamais été aussi bien exploitée que dans l’adaptation de l’œuvre de Stephen King. Car si l’interprétation de Tim Curry dans la mini-série d’ABC (qui a été diffusée sur M6 en 1993, ndlr) a marqué toute une génération de gamins né dans les eighties, celle de Bill Skarsgård dans « Ça » et « Ça : chapitre 2 » qui sort le 11 septembre en salles, marque indéniablement la nôtre.
Le film d’horreur le plus rentable de tous les temps
En 2017, la première adaptation du best-seller explose les scores au box-office mondial : 700 millions de recettes en l’espace de quelques semaines. « Ça » devient, avec son budget ridicule (35 millions de dollars, ndlr) comparé à d’autres productions, le film d’horreur le plus rentable de l’histoire du cinéma. Reléguant au passage L’Exorciste, qui détenait la première place depuis quarante ans, en deuxième position. Un sacré exploit.
Il faut dire que « Ça » suscite, dès la sortie du trailer, un engouement historique : 197 millions de vues en l’espace de 24h. Qualifié de « film du siècle » par Xavier Dolan, l’adaptation parvient surtout à convaincre Stephen King avant la sortie en salles, ce qui en dit long sur le rendu final. Dans une vidéo déterrée par Bloody Disguting, l’auteur déclare : « J'avais de l'espoir, mais je ne m’attendais pas à ce que soit aussi bon. C'est différent, et en même temps, c'est quelque chose auquel le public va s'identifier. Ils vont aimer les personnages. Pour moi, tout tourne autour de ça. Si vous aimez les personnages, si vous vous en souciez, vous avez peur. » Pas mal comme critique de la part d’un auteur qui a accusé Kubrick d’avoir dénaturé The Shining.