Pour imaginer la série à succès diffusée sur Netflix, les frères Duffer se sont inspirés d’un projet de la CIA : MKUltra, une série d’expériences menées sur des individus et visant à développer des techniques de manipulation mentale.
Monde à l’Envers, Demorgogon, Monstre de l’Ombre : sur le papier, l’histoire de Stranger Things semble bien éloignée du réel, avec ses nombreuses références à l’univers de John Carpenter, Steven Spielberg ou Stephen King. Et pourtant, l’histoire d’Eleven, personnage central de Stranger Things, se base sur une véritable affaire, ayant ébranlée les États-Unis lors de la Guerre Froide. Et plus précisément sur un programme gouvernemental, intitulé MKUltra. Soit une série d’expériences menées par la CIA sur des individus entre les années 1950 et 1970. « Quand nous avons commencé à parler de l’idée [pour la série], nous avons évoqué une intrigue portant sur la disparition d’un enfant aux dons paranormaux. Puis nous avons parlé de quelques-unes des mystérieuses expériences menées par le gouvernement que nous situions vers la fin de la Guerre froide, pile au moment où des [projets] comme MKUltra commençaient à refaire surface. » rappelle Matt Duffer à Vulture. Ce programme, dirigé par le Dr. Brenner dans Stranger Things, Terry Ives (la mère d’Eleven, ndlr) y a participé lors de ses années étudiantes, et en garde quelques séquelles. Mais en quoi consistait-il réellement ?
Union Soviétique, lavages de cerveau et télépathie
Lancé en 1953 par Allen Dulles, premier directeur de la CIA, MKUltra a pour objectif « de combler le fossé qui s’est creusé entre les États-Unis et l’Union Soviétique en matière de ‘lavage de cerveau’ » raconte WIRED. À l’époque, l’agence américaine apprend que des soldats américains auraient été victimes de techniques de contrôle mental lors de la Guerre de Corée. Mais comme l’explique le Guardian, le champ de recherche s’étend rapidement au « contrôle de l’esprit à la télépathie en passant par le sixième sens, la guerre psychologique et la ‘vision à distance’ ». Dans la série, Eleven est capable d’espionner un agent russe localisé à des milliers de kilomètres. À l’époque, au sein de la CIA, on envisage cette possibilité. On y croit, même.
Des « superagents » immunisés contre l’ennemi
Le programme est supervisé par le Dr. Gottlieb, un homme décrit par ses amis et ennemis comme « une sorte de génie, s'efforçant d'explorer les frontières de l'esprit humain pour le bien de son pays, tout en recherchant un sens religieux et spirituel à sa vie. » Mais aussi un homme qui restera, pour beaucoup, celui qui fait entrer le LSD au sein de la CIA au nom de la sécurité nationale. Le but, selon un rapport publié en 1975 et décrypté par Slate, étant de concevoir un « sérum de vérité, capable de briser les défenses des agents ennemis » lors des interrogatoires et créer des « pilules d’amnésie pour créer des superagents de la CIA qui seraient immunisés contre les techniques de contrôle de l’esprit de l’ennemi. » Au départ, l’expérience est menée sur des centaines de prisonniers toxicomanes volontaires, à qui l’on administre du LSD pendant 77 jours consécutifs, en échange d’une dose d’héroïne quotidienne. Mais rapidement, le projet dérape. Sous les ordres du Dr. Gottlieb, des agents administrent des drogues à des centaines de cobayes non-volontaires. « Des malades mentaux, prisonniers, toxicomanes et prostitués » rappelle le New York Times. Bref, « des personnes dans l’incapacité de se défendre. » Dans le Kentucky, un patient souffrant de malade mentale aurait ainsi reçu du LSD pendant 174 jours consécutifs. Et l'agence a mené 149 expériences au total, dont 25 sur des sujets qui n’en avaient pas conscience.
En 1972, une bonne partie des rapports détaillant les méthodes employées sont détruits par Richard Helms, directeur de la CIA au moment des faits. L’affaire est révélée par le New York Times en 1974, et une commission sénatoriale est chargée de l’enquête. En 1977, la commission révèle que des activités illégales ont bien été menées sur le sol américain et qu’elles ont causé au moins une mort. Celle de Franck Olson, un agent et chercheur de la CIA à qui on aurait glissé (sans son consentement) du LSD dans un verre de Cointreau le 18 novembre 1953. Dix jours plus tard, l’homme sautait du dixième étage d’un hôtel, victime d’une crise de paranoïa.
Project Montauk et les théories du complot
Depuis, l’affaire alimente les théories du complot. L’une d’entre elles aurait, d’ailleurs, pu être abordée par les frères Duffer dans Stranger Things : Project Montauk. À l’origine, la série s’intitulait Montauk et se déroulait dans une base du parc Camp Hero. « Selon les rumeurs, des espions du gouvernement y menaient des expériences sur des humains pendant la Guerre Froide. L’histoire se base sur l’histoire de ce laboratoire gouvernemental » explique Gaten Matarazzo, qui incarne Dustin dans la série. Rien ne prouve la véracité de cette théorie, mais elle aurait inspiré les showrunners, qui ont finalement opté pour un tournage à Atlanta. « Le tournage devait se dérouler à Montauk » rembobine Ross Duffer. « Nous avons toujours adoré cette ambiance de ville côtière, comme Amity dans les Dents de la Mer. Mais pour des raisons de production, entre autres, nous avons fini par déplacer le lieu de tournage. » Trop de complot tue le complot.