Death Stranding, dont la sortie est prévue pour novembre prochain, sera le premier projet solo d’Hideo Kojima. L’occasion, pour lui, de prouver à son ex-employeur qu’il a eu tort de le pousser vers la sortie. Retour sur l’un des divorces les plus commentés de la décennie.
La scène se déroule lors de la Gamescom, le 19 août. Accompagné d’un traducteur et de Geoff Keighly, Hideo Kojima dévoile, lors de la soirée de lancement, une séquence de gameplay de Death Stranding devant un public déjà conquis. « J’avais prévu de montrer du gameplay au Tokyo Game Show, mais vu que c’est le show de Geoff et que tout le monde est excité, j’aimerai vous en dévoiler une partie » confie-t-il sur scène. La première oeuvre de Kojima Productions, le studio indépendant qu’il a monté en fin d’année 2015, est extrêmement attendue. Alors qu’on ne toujours sait rien de son concept, ou presque.
L'effet Kojima
Depuis quelques années, les moindres faits et gestes d'Hideo Kojima sont documentés, observés. Pour une raison simple : le monde du jeu vidéo s’impatiente de voir comment l’homme, considéré comme l’un des plus grands créateurs de l’histoire, va rebondir suite à son éviction de Konami. Une décision actée en 2015 qui, quatre ans après, surprend toujours autant. Pourquoi en est-on arrivé là ? Retour en arrière.
En janvier 2015, la vie est toujours un long fleuve tranquille pour Hideo Kojima. Encore soutenu par Konami, le natif de Tokyo a été assigné à deux projets d’envergure. The Phantom Pain, d’abord : le cinquième opus de Metal Gear, que Kojima envisage comme le dernier de la franchise. Mais aussi P.T (Playable Teaser, ndlr), nom barbare donné à Silent Hills, nouvel épisode d’une licence à la dérive qu’il a repris en main en 2012. Pour ce projet ambitieux qui a fait sensation à la Gamescom 2014 - et dont la démo a été téléchargée plus d’un million de fois en l’espace d’un mois - il s’est bien entouré : Guillermo Del Toro (Le Labyrinthe de Pan, La Forme de l’eau), l’un des plus grands réalisateurs du cinéma d’horreur, et Norman Reedus (The Walking Dead).
Victime d’une restructuration interne ?
Tout roule pour Hideo, donc. Mais en mars, les ennuis commencent : Konami fait les gros titres de la presse vidéoludique en annonçant une restructuration interne. « Nous transférons notre structure de production vers un système contrôlé par le siège social, afin d'établir une base d'exploitation stable capable de répondre aux changements rapides du marché » peut-on lire dans un communiqué relayé par Polygon. À l’époque, le nom de Kojima n’est mentionné nulle part. Sauf que le même jour, GameSpot jette un premier pavé dans la mare : Konami aurait « restreint l’accès [des représentants de Kojima Production] à internet, aux emails et au téléphone ». Pire : Hideo Kojima et ses fidèles lieutenants ne seraient plus considérés comme des employés, mais des prestataires externes, dont les contrats arriveraient à leur terme en décembre 2015.
Le deuxième acte de la tragédie grecque se déroule en avril, avec le retrait, de P.T du PlayStation Store. Ce jour-là, Konami signe l’arrêt de mort du projet, pourtant extrêmement attendue par les fans de la série. Aucune explication n’est donnée, même si la firme annonce qu’elle n’enterre pas la licence. C’est déjà ça.
Une nouvelle stratégie pour Konami
Qu’on se le dise : toutes ces décisions n’ont rien d’anodin. Konami a bien une idée derrière la tête : investir massivement le marché du jeu mobile. En mai, Hideki Hayakawa, qui vient d’être nommé PDG de la firme, annonce sa stratégie lors d’un entretien pour Nikkei, un média japonais : « Le jeu vidéo a atteint de nombreuses plates-formes, mais en fin de compte, la plate-forme dont nous sommes le plus proche, c'est le mobile. Le mobile est le futur du jeu vidéo. (...) Nous espérons que nos licences internationales telles que MGSV ou Winning Eleven vont continuer à marcher, mais pensons continuellement à comment pousser nos franchises sur mobile aussi. ». Quelques jours plus tard, le studio précise son propos pour éteindre l’incendie et rassurer ses actionnaires, mais le mal est fait. Visiblement, l’avenir d’Hideo Kojima se jouera loin des bureaux de Konami.
Le roi du silence
Resté discret pendant des mois, bien que soutenu massivement par les joueurs sur les réseaux sociaux, le game designer réapparait le 16 décembre aux côtés d’Andrew House, président de Sony Interactive Entertainment. Ce jour-là, il annonce la fin de sa collaboration avec son ex-employeur, la création de son studio indépendant qui conserve le même nom que son studio autonome chez Konami (pour la blague, sans doute) et le développement d’un jeu destiné à être une exclusivité PS4. Ce qui s’avèrera être Death Stranding, donc.
La vérité aurait pu éclater ce jour-là, le contrat de Kojima étant arrivé à son terme. Il aurait pu raconter la conversation qu’il a eu avec les avocats de Konami, l’interdisant de se rendre aux Game Awards. Voire expliquer pourquoi son nom avait été retiré des jaquettes de The Phantom Pain. Mais non, il s’est muré dans le silence. À ce jour, personne ne connait la raison réelle de son limogeage. Certains avancent que ses jeux coûtaient trop chers à produire, d’autres estiment qu’il a été victime du changement de stratégie de Konami. Ce que l’on sait, en revanche, c’est qu’il risque de prouver à son ex-employeur que l’écarter était une erreur. C’est en faisant des erreurs qu’on apprend, paraît-il.
Death Stranding sort sur PS4 le 8 novembre 2019.