C’est un nom bien connu des gamers, mais dévoré par sa plus grande création. Game Freak, c’est Pokémon, et uniquement Pokémon, ou presque. Car ce succès - 300 millions de jeux vidéo vendus - repose sur le renouvellement permanent, chaque jeu dopant les ventes de consoles Nintendo et réamorçant une génération de nouvelles cartes. Et les inconvénients qui vont avec, comme par exemple, ne faire plus que cela : des jeux Pokémon.
Au départ, fut le magazine. Game Freak donc, un fanzine auto édité et consacré à la grande passion de ses créateurs, Satoshi Tajiri et Ken Sugimori : le jeu vidéo, sous toutes ses formes. Nous sommes au cœur des années 80, et le nom est tout trouvé, puisque tous deux sont bel et bien des obsédés du jeu, de la manette, de la borne d’arcade. Game Freak, c’est aussi le petit surnom que se donne Tajiri, duquel il signe certains de ses papiers dans Family Computer Magazine. Mais la passion est dévorante. En parler ne suffit plus. Il faut en faire.
1989. Le 26 avril naît Game Freak, développeur. Mendel Palace (Quinty au Japon) est leur toute première création, dans lequel notre héros doit sauver sa petite amie kidnappée. Un jeu classique, volontiers old school dirons-nous aujourd’hui, mais qui pose des bases pour un avenir radieux aux côtés de Nintendo. Publié par Namco, Mendel Palace est bel et bien jouable sur la NES. Il en ira de même, deux ans plus tard, pour Mario & Yoshi, puzzle game également disponible sur Game Boy, et Smart Ball, paru en 1991 également, mais sur la SNES. Mais tout cela n’est, avec le recul, qu’une période d’essai. Quelque chose de grand, peut-être trop, se prépare. Et en cette année 1996, débarquent dans les foyers une armada de créatures mystérieuses, mignonnes. En 1996 sortent Pokémon Red et Pokémon Green.
Nul besoin ici de refaire l’histoire. Les Pokémon sont partout, tout le temps, sur tous les supports, y compris au cinéma (Detective Pikachu, pas un chef d’oeuvre, mais passons). 1996, c’était il y a plus de vingt ans, et depuis, force est de constater que Game Freak n’a plus fait que cela, ou presque. Certes, il y eut Drill Dozer (2005), Click Medic (1999), HarmoKnight (2012) mais chaque année, ce sont plusieurs jeux de leur licence phare qui font parler d’eux. C’est bien simple, sur Nintendo 3DS par exemple, jamais Game Freak n’a sorti autre chose que des jeux Pokémon (cinq en tout), et il en va de même pour la DS. Pourquoi ? Pierre Maugein, spécialiste du jeu vidéo, a une réponse, comme une évidence : “Pokémon est une licence qui fonctionne très bien. Quasiment chacun des épisodes est au moins bénéficiaire, au plus un vrai succès commercial”. Dès lors, pourquoi aller voir ailleurs ? “Game Freak maîtrise son univers et sait très bien comment injecter suffisamment de nouveauté pour capter son public, et ce même si plusieurs épisodes sont décriés pour un manque d'innovation. Il est de fait difficile pour eux de déléguer, ou de changer totalement de licence, tant ils sont à l'aise avec celle-ci”.
Le risque, à l’évidence, est donc de ne plus savoir faire que cela. Certes, en 2015, Game Freak acheta Koa Games, société de développement de jeux pour mobiles. Et en 2019, une déclaration du grand patron laissait entendre que non, Game Freak n’abandonnait pas ses envies d’expansion. Mais la réalité est tenace, et ici sur Reddit, là devant nos écrans, Game Freak est devenu la chose de Pikachu et compagnie, et le bon élève de Nintendo. Celui auquel on ne prête plus attention, tant on sait qu’il ramènera nécessairement des bonnes notes. Pierre Maugein ne dit pas autre chose : “oui, c'est un risque en termes d'épuisement créatif. On se moque de certaines idées de design, qui pourraient à terme évoluer vers du n'importe quoi par assèchement des types de bestioles. Certains parlaient en se moquant de clés de 12 avec des yeux dans quelques années, mais on en est parfois pas très loin. Disons qu'il faut éviter un syndrome de répétition, comme Assassin's Creed ou Ghost Recon cette année. Tout dépendra alors des produits annexes qui peuvent parasiter les épisodes principaux”.
Et justement, cette cuvée 2019 pourrait bien avoir valeur de test. Pokémon Epée et Bouclier devaient faire souffler un vent de renouveau sur toute la licence, entre la disparition du Pokédex National et de nouvelles caractéristiques attribuées aux créatures. Mais non. De nombreux fans n'ont pas été enthousiasmés. Pire : une campagne de haine se développa, à tel point, que la firme a dû annuler l'événement prévu à Tokyo pour le lancement du jeu pour des "raisons opérationnelles" (mouais). En retour fut créé par une communauté aimante le hastag #ThankYouGameFreak. Car oui, Game Freak, comme un frère, ou un tonton un peu énervant, on l’aime, on le déteste, il nous déçoit, nous énerve. Mais on n’oublie pas ce qu’on lui doit. Jamais.