Si Doom est LA licence qui a contribué à démocratiser les FPS, son orientation aurait dû être tout autre. Pensé comme un Commander Keen en 3D, Doom a finalement tracé sa propre route pour devenir un titre qui a marqué son époque.
Le destin se joue parfois à peu de chose. En 1992, lorsque la phase de conception de Doom débute après la sortie de Spear of Destiny, l’équipe d’id Software fait face à un dilemme. John Carmack, alors programmeur, vient d’accoucher d’un nouveau moteur 3D en vue à la première personne. Un outil qui paraît simple aujourd’hui, mais terriblement efficace pour son époque. Encore faut-il savoir qu’en faire. Au sein du studio, basé dans la banlieue de Dallas, le concept du titre fait débat : Tom Hall (le directeur créatif, ndlr) souhaite se démarquer en proposant un scénario complet, quand le reste de l’équipe veut aller à l’essentiel avec un FPS survitaminé. Vous devinez bien qui a eu le dernier mot, avec le succès qu’on connaît.
« L'histoire dans un jeu vidéo c’est comme une histoire dans un film porno »
La première idée de Tom Hall est de produire un Commander Keen en 3D, mais ses collègues ne sont pas du même avis. Pour une raison simple : un jeu de plateformes ne mettra pas en valeur le moteur de John Carmack. Ce dernier propose un univers dans lequel le personnage lutte contre des démons venus de l’enfer, et le concept est directement adoubé par ses pairs. Tom Hall acquiesce, mais n’abdique pas : le jeu offrira une profondeur scénaristique. Il en vient même à rédiger une Bible Doom. L’ouvrage décrit tout un univers, de sa planète à son bestiaire en passant par les personnages qui y évoluent. Bien tenté, mais insuffisant pour convaincre ses collègues, comme l’explique John Carmack à doomsworld.com : « Tom Hall essayait de faire un "vrai" travail de conception au début du projet, mais le reste de l'équipe allait de l'avant avec une approche plus minimaliste. Sa planification minutieuse n'a rien donné. ». Voilà pour la version diplomatique. Parce que oui, en 2003, Carmack se lâche dans le livre de David Kushner : « Masters of Doom: How Two Guys Created an Empire and Transformed Pop Culture » : « L'histoire dans un jeu vidéo c’est comme une histoire dans un film porno ; il est prévu qu’elle soit présente, mais ce n'est pas si important. »
La machine est lancée
Résultat des courses : Tom Hall, qui ne met plus de cœur à l’ouvrage, est congédié quelques mois plus tard. Pour compenser, plusieurs personnes sont recrutées, comme Sandy Petersen qui s’attèle à la conception des cartes avec John Romero - l’homme qui révolutionnera le monde du jeu vidéo grâce à son concept novateur : le deathmatch.
En s’inspirant des jeux de combat de l’époque (Street Fighter II, Art of Fighting et Fatal Fury, ndlr), Romero conçoit une version multijoueur du jeu dorénavant baptisé Doom. Un nom s’inspirant d’une scène de The Color of Money avec Tom Cruise. L’idée est simple : offrir la possibilité à quatre joueurs de s’affronter en local ou en réseau. Sans s’y attendre, id Software trouve alors la clé de la réussite. Celle qui lui ouvre les portes d’un nombre incalculable de foyers.
Gravé dans l’histoire
En 1993, le jeu est dévoilé au grand public et distribué en tant que shareware. Les utilisateurs peuvent le télécharger et y jouer pendant une durée limitée, mais devront passer à la caisse pour continuer. Et là, c’est un véritable boom : Doom est téléchargé plus de 10 millions de fois lors de la première année. Lancé sur Windows 95, le jeu est présent sur plus d’ordinateurs que Windows lui-même. Une aubaine pour Bill Gates – patron de Microsoft – qui en profite pour promouvoir son système d’exploitation dans une pub devenue mythique.
En 1997, la machine Doom – qui a permis la naissance de nombreuses copies appelées « Doom like » - prend un nouveau virage. Cette année-là, John Carmack décide de partager le code source du jeu. Un don qui n’a rien d’anodin, puisqu’il permet de prolonger sa durée de vie du titre sans qu’id Software n’ait à produire le moindre contenu, comme l’explique John Carmack dans « John Carmack: Making the Magic Happen » : « Partager le code semble tout simplement être la bonne chose à faire, cela nous coûte peu et ça profite à beaucoup de gens de façon parfois très significative. De nombreux projets de recherches universitaires, démonstrations d'éditeurs (…) ont tiré profit du code. Ce logiciel libre que les gens valorisent ajoute de la richesse au monde. ». 26 ans plus tard, on peut affirmer que l’homme a vu juste et que son bébé a révolutionné l’industrie du jeu vidéo. Et tout ça sans raconter d’histoire.