Avec BioShock, Ken Levine et le studio Irrational Games ont fait le pari d’un shooter mature, complexe et différent. Dans ce jeu, on ne tire pas sur tout ce qui bouge, on découvre un formidable monde. Une expérience unique que nous allons décrypter.
Que s’est-il passé dans la tête de Ken Levine lorsqu’il a conçu son chef-d’œuvre ? Avec plus de 4 millions de copies vendues en trois ans, cette aventure a marqué toute une génération de joueurs grâce à son ambiance si particulière. Comme nous allons le voir, ce titre est en fait inspiré par une foule de références allant de la philosophie aux classiques de la science-fiction.
System Shock 2 pour le mariage FPS / RPG
À sa sortie, BioShock a émerveillé bien des joueurs grâce à son gameplay mélangeant shooter et jeu de rôle. Mais pour arriver à ce résultat, l’équipe de Ken Levine s’est très largement inspirée d’une autre de ses créations baptisée System Shock 2. Nous y incarnons un soldat enfermé à bord d’un vaisseau spatial équipé d’une intelligence artificielle machiavélique. BioShock partage ainsi beaucoup d’éléments de gameplay avec ce titre, notamment l’histoire racontée via des logs audio, les possibilités d’infiltration et une ambiance horrifique pesante. Le système des plasmides et la progression sont également largement inspirés des modules cybernétiques. Si vous appréciez BioShock et souhaitez aller plus loin, System Shock 2 est un must-have.
Resident Evil 4 pour la liberté en combat
Autre source importante pour le gameplay, la série Resident Evil. Et plus précisément son quatrième épisode. Dans une interview accordée au site DenOfGeek, Bill Garder, le level designer du titre, explique que les différentes façons d’aborder les combats viennent de là. L’équipe a ainsi mûrement réfléchi le design de Rapture afin de laisser au joueur un maximum de liberté lorsqu’il veut passer à l’attaque. Sauter à travers telle fenêtre, fermer telle porte, utiliser tel objet d’une manière bien spécifique… Ce côté sandbox des affrontements vient donc de la célèbre franchise de Capcom, comme l’explique Gardner : « Resident Evil était un survival- horror, mais ils ont finalement ajouté tous ces éléments de combat. Ces éléments tactiques qui vous permettent de décider "Est-ce que je vais sauter par ici ou utiliser cette porte ? Qui vais-je faire sortir ? Quels outils vais-je utiliser ?". Il y avait ce design intéressant et ces éléments tactiques que je montrais tout le temps à l’équipe ».
Le Rockefeller Center pour l’art déco
Alors que System Shock était à ranger dans la catégorie science-fiction, BioShock se déroule dans un monde plus proche du notre. L’éditeur Electronic Arts ayant refusé l’idée d’un System Shock 3, Ken Levine est allé puiser l’inspiration à New York et notamment au Rockfeller Center. Devant ce bâtiment emblématique de la ville trône une statue d’Atlas, un ancien Dieu grec retenant la voûte céleste à la force de ses bras. Le style art déco de Rapture est ainsi tiré de cette bâtisse, tandis que le personnage d’Andrew Ryan est inspiré de son créateur, John D. Rockefeller. Alors qu’il avait déjà entamé la création de son complexe new-yorkais dans les années 1920, les investisseurs se sont retirés du projet à cause de la fameuse crise économique qui a frappé la planète entière. Pas abattu pour autant, l’homme a financé le reste de la construction avec sa fortune personnelle, comme Andrew Ryan avec Rapture.
L’œuvre d’Ayn Rand pour l’aspect philosophique
Comme beaucoup de grandes œuvres, BioShock renferme un principe philosophique sous-jacent. Ici, c’est l’œuvre d’une auteure américaine d’origine russe nommée Ayn Rand qui imbibe l’ensemble de l’expérience. Notamment à travers son roman Atlas Shrugged (qui donne son nom à l’un des personnages principaux du jeu), elle dépeint le courant dit "Objectiviste" prônant une forme de capitalisme radicale. L’une de ses idées est que les hommes recherchent le bonheur avant toute chose et doivent pour cela avoir recours à un "égoïsme rationnel". De nombreux éléments de Rapture reposent largement sur ce concept, mais nous le retrouvons de manière plus évidente avec le système des petites sœurs. Faut-il tuer les petites sœurs pour récolter plus d’ADAM ou les sauver ? Égoïsme ou altruisme ?
Les romans d’anticipation pour le côté dystopique
Si BioShock se déroule dans les années ’60 au cœur de l’océan Atlantique, on se rend vite compte que l’atmosphère et les systèmes de jeu s’inspirent d’œuvres plus futuristes. Ken Levine est en effet allé chercher le cultissime 1984 de George Orwell, mais aussi les œuvres d’Aldous Huxley pour créer l’aspect dystopique de Rapture. La ville sous-marine d’Andrew Ryan, cette cité formidable présentée comme un meilleur monde pour les humains, est réduite en cendres par la folie des hommes. Un thème omniprésent dans toutes les œuvres citées par Ken Levine et qui confère à BioShock son ambiance si particulière. Les personnages et les faits qui se présentent à nous dans le jeu sont des reflets volontairement exagérés et déformés de notre propre société. Dans une interview accordée à IGN, le papa du titre revient ainsi sur ces inspirations très marquées : « Avec BioShock, je voulais créer un monde où ce qui se passe est crédible et pas dans un futur lointain. Quelque chose qui pourrait nous parler, comme un problème que nous rencontrons actuellement - notamment la recherche sur les cellules souches et les problèmes moraux que cela engendre. J’ai mon diplôme en arts libéraux inutile en poche, donc j’ai lu des trucs d’Ayn Rand et de George Orwell et toute sorte d’œuvres utopiques et dystopiques du XXème siècle que je trouvais vraiment fascinantes. »